Savez-vous que les romans ont chacun leur petite musique, leur mélodie ? C’est encore plus vrai avec le nouveau roman de Célia Houdart qui signe là son quatrième opus depuis 2007.
Avec « Gil », l’auteure-artiste touche-à-tout de 45 ans nous entraîne dans la vie de Gil de Andrade, que l’on rencontre alors qu’il a 18 ans, son bac et son permis de conduire en poche. Le rêve de ce fils de postier d’origine portugaise ? Entrer au Conservatoire.
Le jeune pianiste ne compte pas ses heures et ses gammes, encouragé par ses professeurs. Puis, c’est la révélation. Sa voix est plus talentueuse encore que ses doigts. Lui, le jeune homme timide qui, toujours, a parlé si bas, va faire parler de lui partout. Un ténor est né. Sensible mais fragile, inquiet.
Son père Jorge le soutient. Sa mère aussi, à sa manière. Depuis plusieurs années déjà, Lucile est soignée dans une institution, en Suisse.
De répétition en représentation, le lecteur découvre les coulisses de l’opéra et la carrière fulgurante de Gil. Un roman sensible. Pas réservé à l’élite mélomane. D’ailleurs, pour ne pas tomber dans ce type de piège, l’auteure a sciemment inventé les oeuvres et leurs compositeurs. Histoire de mettre tout le monde à l’aise.
Extraits
Page 40 :« Dans le TGV, Gil fut à nouveau envahi par la musique. Elle se jetait parfois sur lui comme une vague. Il n’avait pas besoin de partition pour réentendre les notes du dernier morceau qu’il avait travaillé. Il en jouait intérieurement des passages.
Il se mit à pleuvoir. Gil était assis côté fenêtre, les mains posées sur ses cuisses. La tablette du siège était relevée. Une tension partant d’une point situé entre ses omoplates parcourait ses bras, ses poignets, ses doigts, les os de son crâne. Il se mit à enfoncer les touches d’un piano imaginaire. En face de lui, un homme lisait son journal. »
Pages 123-124 :« Jorge se fit la réflexion que, malgré le bruit du passage des voitures et les conversations des clients aux tables voisines, il entendait parfaitement Gil. Il n’avait plus comme autrefois à le faire répéter. A ce moment-là, il ne pensait pas particulièrement aux progrès de son fils chanteur, au développement de sa voix, qui augurait peut-être d’une belle carrière. Non, il se réjouissait simplement de cette victoire sur ce qu’il avait toujours considéré comme un handicap. Gil parlait trop bas. A la petite école et au collège, on le lui avait toujours signalé. Personne n’entendait Gil. Même en tête-à-tête. Avec lui, il fallait toujours tendre un peu l’oreille. Sans y attacher une importance excessive, Jorge s’était toujours interrogé. Il ne comprenait pas. Il en avait même conçu une forme de culpabilité.
Maintenant c’était fini. Il s’était déjà fait la réflexion un jour, à table, au mois d’avril, lorsque Gil était venu le voir. Il n’y avait plus de doute, il entendait tout ce que disait Gil. »
Page 156 :« Chez lui aussi, Gil passait des soirées entières à regarder la télévision. Dans ces moments-là, il ne pensait à rien. Il était habillé n’importe comment, se nourrissait de chips au vinaigre.
Il se laissait porter, plongeait dans une sorte de somnolence. Il comblait un grand vide central.
Octobre. Novembre. Plus de chant. »
Mon avis
Quel destin que celui de Gil ! On suit le personnage de ce court roman dans son parcours entre ombres et lumières, entre répétitions et représentations ratées. Un roman qu’on lit d’une traite. Et qu’on referme avec, dans le creux de l’oreille, une petite musique qui reste. Jolie découverte !
« Gil », de Célia Houdart, POL, 12,50€.