On part à nouveau en voyage ! Cette fois, c’est Catherine Mavrikakis qui nous guide dans les méandres des relations père-filles. Déjà présente sur ce blog pour « Les derniers jours de Smokey Nelson », Catherine Mavrikakis nous revient avec « La ballade d’Ali Baba », toujours chez Sabine Wespieser éditeur.
L’auteure est née à Chicago en 1961 d’une mère française et d’un père grec qui a grandi en Algérie. Son enfance se déroulera entre le Québec, les Etats-Unis et la France. Elle enseigne aujourd’hui à l’université de Montréal. Elle a écrit une pièce de théâtre et déjà six romans, dont trois publiés en France chez Sabine Wespieser.
L’histoire ? C’est celle d’un homme qui oublie, qui ment, qui charme… et qui s’en sort. Ou pas. Erina, la narratrice, est sa fille aînée de Vassili Papadopoulos. Elle a neuf ans. Ses soeurs, jumelles, ont six ans.
L’homme a quitté Rhodes en 1937 pour rejoindre l’Algérie. Il s’en ira ensuite aux Etats-Unis puis au Canada. Il se marie, divorce. Oublie de venir chercher ses filles ou les entraîne dans un road-movie le temps d’un week-end, du côté de Key West. Quand il n’emmène pas Erina comme porte-bonheur près des tables de jeu à Las Vegas. Elle a dix ans…
Parcours chaotique d’un homme qui n’aura de cesse d’épater la galerie et ce, même après sa mort. En effet, neuf mois après celle-ci, en 2013, durant l’hiver, il réapparait à sa fille, devenue spécialiste de la Shakespeare. Et continue à lui faire la leçon.
Au fil des pages, Erina se souvient, Erina raconte et tente de comprendre ce père dont elle n’aura jamais été dupe. Un hommage et le portrait d’un homme finalement attachant.
Extraits
Pages 13-14 : « Mon père tenait enfin sa promesse. Il amenait ses gamines en voiture dans le Sud découvrir l’océan durant les vacances d’hiver. Et rien ne pouvait le faire changer d’avis. Ni les injures aigres de son ex-femme qui n’avait pas manqué de lui reprocher de vouloir exténuer les petites, ni la fatigue hébétée et réelle de ses enfants, ni encore son propre épuisement ne l’arrêtaient… Il avait fait le trajet de New York à Montréal pour venir nous chercher et il retournerait dans la grande cité américaine où il vivait depuis quelques mois déjà, dès qu’il nous aurait déposées, sans même prendre le temps de descendre de voiture, devant l’entrée de garage du bungalow de ma mère à Repentigny. »
Pages 48-49 : « Il n’était pas tout à fait exact que je ne fréquentais plus du tout mon père. Je le croisais souvent chez ma mère. Je lui parlais de la pluie et du beau temps. Mais nous n’avions plus la complicité qui avait été la nôtre durant mon enfance. Cette complicité qui faisait de moi sa fille préférée, son héritière, quoi qu’il puisse arriver. A partir de l’âge de onze ans, je n’eus pendant des années presque plus aucun signe de vie de mon père. Il m’accorda bien un entretien d’une heure à Toronto, alors que je participais à un colloque étudiant… Il était lui aussi à Toronto et avait appris, je ne sais comment, que je faisais une présentation sur Hamlet de Shakespeare. J’avais vingt-cinq ans. Depuis, je ne l’avais pas revu. Sa famille montréalaise ne savait pas ce qu’il devenait. Le vieux Papou, le père de mon père, était mort, et son fils aîné n’était apparemment même pas venu à l’enterrement. Pendant une trentaine d’années, mon père disparut presque totalement de ma vie. Il m’appela peut-être dix fois. Chaque fois, sa voix au téléphone, enjouée, retentissait dans l’écouteur. Nous échangions quelques paroles rapides. “Tu vas bien ? Et ta mère ? et tes soeurs ? ” Rien de plus… Et puis, sans prévenir, il était “revenu” ».
Page 81 : « Alors que l’ascenseur me propulsait vers le vingt-neuvième étage de l’immeuble et qu’il me semblait que les vents du nord continuaient à gémir dans la cage étroite, mon père, tout mouillé par la neige, secouait ses cheveux trempés et tentait, coquet, de se recoiffer. Il faisait des mimiques grotesques à son reflet, que la glace de la petite cabine où nous nous trouvions lui permettait de contempler. La tempête avait été mauvaise. Elle le faisait encore grelotter et son pardessus gris ressemblait à une vaste guenille imbibée d’eau. Mais Vassili n’avait rien perdu de son panache et de son désir de plaire. Même mort, il continuait à minauder. Il tenait à retrouver au plus vite son visage séducteur. Moi, je découvris mon air ahuri, presque irréel. Mon rimmel avait coulé sur mon visage tout boursouflé par le froid et la morve s’écoulait de la tumeur rouge que semblait être devenu mon nez congestionné. »
Mon avis
J’ai acheté ce roman du fait du nom de l’auteure, dont j’avais beaucoup aimé le précédent roman. Et croyez-le ou non, j’ai aussi beaucoup aimé celui-ci ! Voilà un très bel hommage de la narratrice à son père. Malgré les mensonges et les manquements. Au fil des pages et des événements de la biographie de Vassili, on suit l’histoire de la famille. Et on suit la quête d’Erina. Qui veut comprendre. Et pardonner. Un très joli roman.
« La ballade d’Ali Baba », Catherine Mavrikakis, Sabine Wespieser editeur, 18€.