Semaine après semaine, Quatrième de couv vous fait découvrir les nouveautés de la rentrée littéraire et surtout des coups de coeur. Parmi eux, impossible de passer à côté de « La petite barbare », véritable pépite d’Astrid Manfredi, qui signe là un premier roman uppercut.
Créatrice du blog de chroniques littéraires Laisse parler les filles, Astrid Manfredi intervient ponctuellement pour le Huffington Post, toujours autour de la littérature.
L’histoire ? C’est celle d’une jeune femme de 23 ans à la beauté incendiaire. Elle achève sa peine de prison. Elle a passé plusieurs années derrière les barreaux pour ne pas avoir dénoncer des actes de torture et un meurtre, pour avoir cautionné des actes barbares.
Au fil des pages, c’est elle-même qui nous raconte son histoire. Faite de riens et de manques. Alors elle compense. Mise sur son corps pour s’offrir toujours mieux que le quotidien minable et tellement étriqué de ses parents. Quitte à aller trop loin. Quitte à ne plus rien respecter. Même pas elle.
Avec Esba, elle monte des coups, dévalise de jeunes et moins jeunes bourgeois qui s’encanaillent. Jusqu’au drame. On y devine, en filigrane, l’affaire Ilan Halimi. Et celle de l’allumeuse. Jusqu’en prison, la jeune femme usera de ses charmes vénéneux pour gagner un peu de liberté. Tragique.
Seule les livres l’apaise. Seuls les mots de Marguerite Duras et plus précisément ceux de « L’amant » lui font envisager autre chose. Loin de la noirceur de sa réalité.
Sur le site Babelio, Astrid Manfredi explique quelles étaient ses inspirations.
« Il y a eu plusieurs points d’orgue. D’une part cette jeune fille, Emma, qui a servi d’appât dans le gang des barbares puis séduit le directeur de prison lors de son incarcération. D’autre part l’affaire Valérie Subra, dans les années 80, qui répondaient au même processus : obtenir ce qu’elle voulait coûte que coûte, et sous emprise. J’ai aussi pensé au cinéma de Larry Clark et à la crudité poétique de sa caméra lorsqu’il filme une jeunesse qui a perdu le cap, et qui pourtant n’est pas toujours issue de milieux défavorisés. Mais oui, le fait divers reste une excellente chair à fiction. »
« La petite barbare », c’est le récit cru et cash d’un chaos social et intérieur. De la banlieue aux Champs-Elysées, il n’y a que trois stations de RER. Le rêve est à portée de main. Il va cependant virer au cauchemar.
Ici, Astrid Manfredi explique la génèse de son premier roman
Extraits
Page 67 : « Je suis sortie de l’isolement. Comprenez : ils vont me libérer sous peu, je suis trop jeune pour racornir en prison, il semblerait. Ce n’est pas mon dirlo – celui de la prison – qui me dira le contraire. En attendant, c’est lui qui paye l’addition. Bien fait. Il faut toujours payer pour ses faiblesses. La vie c’est du bluff, mieux vaut garder les lunettes noires et ne rien laisser voir.
Je suis revenue en cellule avec les filles pour les six derniers mois de taule qui me restent à faire. J’ai appris ça l’autre jour : la fin de mon incarcération, de mon lavage de cerveau pour mauvaise conduite. La famille de la victime est scandalisée. Pas moi. J’ai juste vu. Et encore, vu, c’est vite dit. Je m’en allais faire du shopping, j’achetais des valises entières de trucs vaporeux à faire triquer David Beckham puis je rentrais et je voyais l’autre supplicié qui implorait la clémence sur sa chaise. Qu’est-ce qu’il pouvait chlinguer. Après son regard de poney fou j’allais gerber. Peur de la peur. »
Page 82 : « J’ai menti à la rue, à la vie, aux arbres et aux tours qui nous encerclaient. J’ai laissé un mec crever tout seul dans l’abattoir de béton au nom de rien.
Esba, mon Esba à la peau de toujours, jamais je ne t’en voudrai, je connais les sédiments de ta douleur et les belles couleurs qui s’y sont déposées avant que tu te transformes en super-héros du néant. Je connais tes chansons, ta voix chaude et embrumée venue d’ailleurs. Ta voix oubliée de tous. Je connais ta main dans la mienne et ta révérence de marabout devant ma beauté. Je t’absous à tout jamais.
Puis le bourge est mort. Plus rien, plus un souffle n’est sorti de lui. Pantin désarticulé aux membres fracassés et soumis, un sourire de joker pour la récompense. Le festin était terminé. Il gisait là, devant nous, incroyablement humain, incroyablement seul.
J’ai pleuré sur mes escarpins et les sirènes ont retenti.
Il faut toujours payer. »
Page 113 : « J moins quatre. Je l’écris à la craie sur le mur en vrac de la cellule. Les filles applaudissent et me déboitent l’épaule à force de paluches d’encouragement. Encore un J moins qui viendra rejoindre une cohorte de J moins maladroits et fiévreux que d’autres évadées avant moi ont espérés dans une tension qui te tord les boyaux. Ca chamboule grave, j’ai presque peur. Peur de ne plus savoir marcher sur les trottoirs, de ne plus savoir lire l’heure, de me tromper de direction dans le métro, d’être gauche et ringarde parmi les minettes à la mode si minces. J’ai eu mon heure de gloire, elle est passée et je ne la regrette pas. Je l’ai dépensée jusqu’à la lie, plus une seconde de disponible. »
Un premier roman réussi. Une histoire forte dont on dévore chaque page.
« La petite barbare », Astrid Manfredi, Belfond, 15€.