Rentrée littéraire
A chaque rentrée littéraire, c’est la même histoire : trop de livres et pas assez de temps ! Alors je me concentre sur les premiers romans et sur les auteurs qui me sont chers. Sans oublier quelques découvertes grâce à d’autres lecteurs, la chronique d’un journaliste, etc.
Avec Jean Echenoz, c’est autre chose. Des années, et même des décennies que je suis cet auteur. Pas de manière aveugle et inconditionnelle non, mais avec une attention tout particulière.
Sur Quatrième de couv, c’est un écrivain dont je parle régulièrement et que j’ai lu beaucoup (douze romans lus sur dix-sept écrits, c’est plus que de l’admiration, non ? ) Vous trouverez la critique de « 14 », ici.
Cette fois, l’auteur, lauréat du prix Médicis pour « Cherokee » en 1983 et du prix Goncourt pour « Je m’en vais », en 1999 revient avec un quinzième roman foutraque.
L’histoire de ce nouveau roman ? Elle est assez spéciale… Imaginez Constance, une jolie trentenaire qui n’a pas besoin de travailler. Ancienne chanteuse d’un tube international, elle décide de vendre son appartement… quand elle est enlevée après avoir visité un cimetière.
Une cible des services secrets français (incarnés par le général Bourgeaud et le beau Victor) qui, après des mois passés loin de son environnement ( dans la Creuse, elle est surveillée par Jean-Pierre et Christian) va avoir pour mission de se rapprocher (de très près) d’un dignitaire du pouvoir nord-coréen, admirateur absolu de son fameux tube « Excessif ». Derrière cette machine à cash, Lou Tausk, auteur compositeur et mari de Constance. Mais un mari volage, totalement détaché et en perte d’inspiration.Tout comme son parolier Pélestor, dépressif et coincé en hiver.
Il y a aussi Hubert, le frère de Lou Tausk (qui est un pseudo, vous l’aurez deviné !), avocat trop riche pour être tout à fait honnête. Et aussi Hyacinthe, conducteur de métro mais aussi réparateur en tout genre chez Tausk avant de devenir chauffeur de taxi et qui a aussi un rôle à jouer dans toute cette affaire.
Reste que Lou Tausk a d’autres soucis en tête que la disparition de sa femme. Clément Pognel vient de réapparaître dans sa vie… et compte tenu du contentieux qui existe entre les deux hommes, cela ne pas va très bien se passer. C’est dit !
Ajoutez à cela une histoire de petit doigt coupé, celle d’une coiffeuse trop bavarde et d’une Corée du Nord définitivement pas drôle et vous obtenez un roman de genre, loufoque, truffé de personnages secondaires et de petites histoires qui, en réalité, expliquent tout le reste. Ou pas.
Un roman dans lequel les kilomètres défilent. On parcourt Paris en tout sens, puis on sillonne la Creuse afin de se retrouver dans la jungle nord-coréenne. Si, si.
Un roman drôle et rocambolesque qui apostrophe régulièrement le lecteur. Pour vérifier s’il suit toujours, allez savoir ?
Chez Jean Echenoz, la littérature est toujours une mécanique bien huilée, de haute précision. La preuve encore avec cette « Envoyée spéciale » dont l’univers pourrait nous rappeler celui des opus de OSS 117. Décalé. On y trouve aussi, un peu l’esprit de la nouvelle série présentée l’automne dernier sur Arte « Au service de la France ».
Bref, la géopolitique prend une tout autre dimension…
Extraits
Page 17 :« Chemisier bleu tendu, pantalon skinny anthracite, souliers plats, coupe à la Louise Brooks et courbes à la Michèle Mercier – ce qui n’a pas l’air d’aller très bien ensemble mais si, ça colle tout à fait. Trente quatre-ans, peu active et peu diplômée – à peine capacitaire en droit –, épouse d’un homme dont les affaires marchent ou du moins ont marché, mais c’est la vie avec cet homme qui ne marche qu’à moitié : vie matérielle facile, vie matrimoniale pas. Velléités de divorce, perspectives d’arrangements, brouilles suivies de compromis, tout dépend des jours. C’est à ce fil qu’elle partage son existence entre le domicile conjugal, quoique de moins en moins souvent, et l’appartement qu’elle vient d’envisager de vendre, en attendant de voir. Cette brève fiche signalétique établie, Constance a tourné le dos à son reflet, s’est éloignée de l’agence et depuis la rue Greuze, à pied, en direction de son bien rare et calme, c’est un trajet de six à huit minutes en longeant le cimetière de Passy. »
Page 146 : « Souvent, de leur vivant, les gens nous exaspèrent et l’on voit, à leur mort, l’étendue des dégâts : c’est ce qui s’est passé pour Tausk après le suicide de son parolier. Pélestor n’était pas sans défauts mais, s’il forgeait d’imparables formules moulées en peau de serpent sur une ligne de basse, aussitôt gravées dans la mémoire commune, il pouvait aussi suggérer sur cette mélodie même des nuances orchestrales ou rythmiques que son compositeur n’aurait pas imaginées. Il n’était pas le premier venu. »
Page 297 : « Plusieurs mois vont à nouveau s’écouler. Ignorant encore l’échec de la défection programmée de Gang Un-ok, c’est le coeur léger que le général Bourgeaud se sera mis à la tâche. Il disposera d’un peu de temps pour mettre au point l’opération au Zimbabwe, ses contacts sur place ayant besoin d’un délai avant de baliser le terrain.
Sur plusieurs points de logistique, cependant, la présence de Paul Objat va lui manquer : toujours aucune nouvelle. Il n’en sait pas plus que nous sur lui à ceci près que nous autres, un peu mieux informés, avons vu Objat disparaître avec Constance. »
« Envoyée spéciale », Jean Echenoz, Editions de Minuit, 18,50€