Prix du meilleur roman Points : acte II
Comme les autres membres du jury, j’ai reçu de nouveaux titres de la sélection 2016. Vous trouverez ici :
– « Métamorphoses », de François Vallejo
– « Scipion » de Pablo Casacuberta
- « Academy Street » de Mary Costello
– « Le coeur du pélican » de Cécile Coulon
Pour ceux qui veulent en savoir davantage sur la sélection, retour sur l’acte I ici.
On commence ?
→ J’ai d’abord plongé dans le roman de Françojs Vallejo, un romancier que je connais et dont j’avais apprécié plusieurs romans.
François Vallejo, professeur de lettres classiques, est un passionné de Claudel et Louis-Ferdinand Céline. Auteur de onze romans, « Métamorphoses », son dixième opus, est initialement sorti en 2012.
François Vallejo est notamment lauréat du prix du Livre Inter pour « Ouest ». C’était en 2007. Parmi ses titres les plus connus « Groom », « Ouest » donc, mais aussi « Madame Angeloso ».
Le roman sélectionné pour le prix du meilleur roman Points est, pour le coup, un sacré uppercut. Et pour cause. Bien qu’écrit trois ans avant les attentats de Charlie Hebdo puis ceux du 13 novembre 2015, on dirait qu’il en découlé.
L’histoire ? Elle est tragique. Elle est forte. Elle est ancrée dans notre réalité contemporaine. L’histoire c’est donc celle d’Alix Thézé et de son « demi » comme elle dit, son demi-frère, Alban Joseph. Ils ont la même mère. Ont reçu la même éducation, bourgeoise. Mais n’en auront pas fait le même usage.
Si Alix est devenue une restauratrice de peintures anciennes dont le travail est apprécié, Alban, le doctorant en chimie, a sérieusement dérapé. Il s’est radicalisé. A changé de vie. Et même d’identité. Et il veut laisser une trace. Tant pis si elle suinte l’horreur…
Alors Alix, qui a compris, va se battre. Contre tout le monde pour que son frère s’en sorte et ne devienne pas un terroriste. Elle se battre contre les oeillères de sa mère et de son beau-père, contre les « nouveaux » amis de son demi, contre les services de renseignements français. Une lutte. Longue et âpre. Au nom de leur fraternité.
Un roman dont on tourne les pages pour savoir. Pour comprendre. La seconde partie cependant est moins bonne que la première.
Extrait
Pages 133-134 : « Ce ne sera pas lui nuire, mais l’aider, ma seule ambition depuis le début. Croire qu’on préservera les affaires de l’agence de voyages, en cachant l’histoire de mon demi, c’est une erreur, je le vois de plus en plus clairement. Erreur de maintenir la fiction de sa liberté de choix. Nous avons seulement honte de voire un garçon bien élevé, brillant, passer de l’autre côté. Quel autre côté ? C’est le plus embarrassant à dire. Je sens que je ne suis pas encore fermement décidée.
Je me fixe une limite : notre première campagne de restauration touche à sa fin. Je ne la retarderai pas par un départ anticipé. Je respecte mes engagements. Je n’en prendrai pas d’autres, c’est tout. D’ici là, je renonce à la presse, je jette la documentation accumulée, je m’abstiens de toute lecture. Dans trois semaines, nous quitterons La Puisaye. Dans trois semaines, j’aurai assez de force pour franchir le pas. Quel pas ? Dénoncer mon demi. »
→ Deuxième découverte avec « Scipion » de Pablo Casacuberta.
Voilà un roman surprenant. Jubilatoire. J’ai beaucoup aimé l’histoire presque tragique d’Anibal Brener. Spécialiste de l’Antiquité, comme son père, « le professeur », il végète. Boit. Vit dans une pension minable avec un vieux grabataire. La mort de son père, il l’a appris par la télévision. Fils indigne ? Plutôt pas à la hauteur. Pas simple quand vous portez le nom d’un illustre général carthaginois…
Deux ans après la mort de son père ( celui qui a fait fuir sa femme, la mère d’Anibal et de Berta, qui a également fui la maison et le pays pour s’installer en Belgique), Anibal peut enfin pénétrer dans la maison familiale. Et se faire remettre trois boites pour tout héritage.
Dans l’une d’elles, un livre et à la page 492 un codicille qui conditionne son accession à l’héritage. Son père ne lui épargne rien, même de l’au-delà. Parce qu’il se doit d’aller au bout et de comprendre, Anibal va se battre. Et se rapprocher de ce père vaniteux et despotique au terme d’une aventure pas banale, entre Manzini un avocat peu scrupuleux et, Selma, une ancienne fiancée calculatrice.
« Scipion » est le premier roman traduit en français de Pablo Casacuberta auteur de cinq romans, venu du Paraguay.
Extrait
Page 272 :« Même maintenant, en voyant l’eau s’approprier les boîtes, je devais accepter que ma négligence n’ait rien à voir avec ses fameuses conditions. Cette fois, je devais simplement m’occuper d’un pauvre tas de papiers et je n’avais même pas été capable d’accomplir une mission aussi élémentaire. C’était comme si un démon intérieur s’était chargé d’empêcher une victoire possible dans tout ce qui relevait, fût-ce indirectement, du monde de mon père. Si j’obtenais un poste dans son département, je me consacrais à écrire des articles qui allaient à coup sûr l’irriter ; si je devais assister à une réunion de professeurs, je me débrouillais pour arriver en retard, avec la flasque d’alcool faisant une bosse dans la poche intérieure de ma veste et une haleine de barrique de chêne qui aurait soûlé un marin ; si ma petite amie essayait de l’impressionner par une étude, je m’arrangeais pour la propulser avec une catapulte argumentaire à dix mille kilomètres de distance. Il fallait reconnaitre que, pour ce qui était de me déshonorer, j’avais été son collaborateur le plis assidu. »
→ J’ai ensuite enchainé avec « Academy Street » de Mary Costello. Encore une auteure que je ne connaissais pas. Merci au prix du meilleur roman Points donc !
Auteure de nouvelles, Mary Costello signe-là son premier roman qui, excusez du peu, a reçu l’Irish Book ou the Year Award 2014, décerné pour la première fois à une femme.
Cette fois, l’histoire nous mène en Irlande puis aux Etats-Unis. L’héroïne se prénomme Tess. Nous la suivrons de ces sept ans ( à la fin des années 40) jusqu’en 2011. Le 9 septembre, son fils unique meurt dans les attentats du World Trade Center.
Tess, benjamine d’une fratrie de six enfants, perd sa mère alors qu’elle n’est encore qu’une enfant. Elle se réfugie dans le silence, son père dans sa douleur. Tess grandit. Devient infirmière et rejoint l’une de ses soeurs à New-York.
Elle tombe amoureuse, passe une seule nuit avec celui qu’elle aimera toute sa vie et tombe enceinte. Naît un garçon, Theo, qu’elle élèvera seule. Une vie de labeur, de résignation et de rêves raisonnables dont Mary Costello a, je trouve, divinement bien restitué l’atmosphère. Un portrait de femme ordinaire qui a peut-être oublié de vivre sa vie, se raccrochant aux livres et à la religion. Dévoré en un après-midi !
Extrait
Page 132 : « C’est vers Willa qu’elle se tourna. Dans la cuisine de son amie ce soir-là, elle ouvrit sa sac à main et lui présenta en silence la coupure de journal. Willa servait le dîner. Elle s’interrompit, lut l’annonce et, sans prononcer le moindre mot, se remit à servir son mari, ses enfants et Theo tous attablés. Ensuite elle effleura le bras de Tess et alla chercher son manteau. Elles descendirent la rue, tête baissée, blotties l’une contre l’autre. Elles restèrent assises dans un diner jusqu’à ce que leur café refroidisse. Tess raconta tout à son amie : la mère morte, la soeur morte, l’enfance, l’homme. Dit à voix haute cela ne parut pas si terrible. Il lui arriva même de rire. Ce n’était pas drôle, non, mais ce n’était pas tragique non plus. Elle eut l’impression de raconter la vie d’une autre, une vie d’il y a longtemps. »
→ Dernier roman présenté dans ce post, « Le coeur du pélican », de Cécile Coulon.
Cette fois encore, je ne connaissais pas cette auteure, même si j’avais entendu parler de ce roman. « Le coeur du pélican » est le quatrième roman de Cécile Coulon... qui n’a que vingt-six ans !
Après des études en hypokhâgne et khâgne à Clermont-Ferrand, elle poursuit des études de Lettres Modernes. Cécile Coulon consacre actuellement une thèse au « Sport et Littérature ».
Cette fois, nous suivons la vie d’Anthime. De son adolescence à l’âge adulte. Un adolescent sans histoire, entouré de parents étouffants et d’une soeur, Helena, avec laquelle il entretient un lien ambigu. Au hasard d’un jeu, il fait montre de sa vélocité. Ce sera son arme, sa force. Et le début d’une nouvelle vie. Celle de la compétition, avec son coach Brice. Le Pélican est né. Mais est-il heureux ? Joanna, sa voisine, l’attend. Et en fera son mari. Quitte à l’étouffer. Anthime, lui, n’a jamais aimé que Béatrice qu’il n’a pourtant jamais embrassée.
Au jour, l’athlète craque. Son corps lâche. Clap de fin sur une carrière qui aurait pu le mener jusqu’à l’or olympique. Il s’étiole, s’éteint. Vingt ans après avoir tout arrêté, d’anciens camarades se moquent de lui et le mettent au défi. Anthime est-il capable de repartir ? Helena le soutient, Joanna, non. Mais jusqu’où ?
Grandeur et décadence d’un homme qui estime n’avoir pas choisi sa vie. Assez agréable à lire mais loin d’être transcendant.
Extrait
Page 171 : « Elle n’avait pas réfléchi longtemps pour décider quoi faire. Helena l’accompagnerait. Evidemment. C’est ce que Béatrice aurait fait. Pauvre cloche : si Béatrice avait été là, Anthime n’aurait pas épousé Joanna, Anthime n’aurait pas pris quinze kilos, Anthime n’aurait pas quitté la maison au beau milieu de la nuit.
Il était sur le point de traverser le pays, leur pays, en courant. Il était sur le point de disparaître, et sa soeur devait choisir, disparaître avec lui ou non. Elle serait son intendante, son médecin, sa conscience. Il serait des jambes, des poumons, des fesses et des bras sur la route. Si Helena l’accompagnait, il se sentait capable de revenir parmi les siens, une fois le périple accompli. Anthime la prenait en otage, si elle ne participait pas au retour du Pélican, ses neveux ne reverraient pas leur père, sa dulcinée ne toucherait plus son mari. »