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FRENKEL

Une claque. Et une découverte marquante. C’est en écoutant la radio, France Inter pour ne pas la nommer,  que j’ai entendu parler de ce récit, « Rien où poser sa tête », réédité à l’occasion de la rentrée littéraire de janvier dernier.

Une histoire forte. Terrible. Un témoignage qui nous plonge dans la France de la Deuxième Guerre mondiale, dans le quotidien de la France occupée, celle qui ne veut pas des Juifs…

Françoise Frenkel, née Frymeta Idesa Frenkel, voit le jour en Pologne, en 1889, dans la région de Lodz.

Elle bénéficiera d’une éducation bourgeoise, poursuivra des études en Pologne puis en France et en Allemagne. En 1921, avec son mari Simon Raichenstein (dont il n’est fait aucune mention dans ce récit. Il a quitté l’Allemagne dès 1933. Arrêté lors d’une rafle en 1942, il mourra un mois plus tard à Auschwitz), elle créé une librairie française au coeur de Berlin.  Un endroit couru par les auteurs, des intellectuels. De Colette à Gide, de Maurois à Barbusse.  Un lieu, unique alors, qui vaudra à Françoise Frenkel une lettre de Daladier, alors président du Conseil pour « services réels  » rendus  » pour la diffusion du livre français à l’étranger ».

Françoise Frenkel, elle, ne quittera le Reich qu’en 1939, car il ne lui est absolument plus possible d’y vivre compte tenu des conditions de vie imposées aux Juifs. De plus, la France vient de déclarer la guerre à l’Allemagne. Elle transite alors par Paris, puis passera des mois et des années à fuir à travers le sud-est de la France ( Vichy, Avignon, Nice, puis Annecy… ) notamment avant de pouvoir, en juin 1943, enfin, passer en Suisse. C’est là qu’elle commencera à écrire ses souvenirs.

Au fil des pages, sans jamais verser de larme ni tomber dans l’atermoiement, sans céder à la haine ni à la colère, Françoise Frenkel raconte. Explique. Met en avant la formidable solidarité dont elle a bénéficié (le soutien indéfectible du couple Marius par exemple), sans omettre les petites lâchetés et autres trahisons dont cette intellectuelle a été victime dans une France divisée. Un livre rempli de gratitude.

Ce récit, publié en 1945, à Genève. Il y a cinq ans, il resurgit dans un pile de livres à Emmaüs, à Nice, où Françoise Frenkel a vécu jusqu’à sa mort, en 1975. Le livre est alors réédité, agrémenté aujourd’hui d’une préface de Patrick Modiano.

 Extraits

 Page 43 :« J’étais toujours là. Je sentais que, s’il l’eût fallu, j’aurais défendu chaque volume de toutes mes forces, de ma vie même, non seulement par attachement à ma librairie, mais surtout par un immense dégoût de l’existence et de l’humanité, par une nostalgie infinie de la mort.

Assise sur les marches de mon magasin, j’attendais…

Les incendies grésillaient et les pompiers travaillaient toujours.

Les trottoirs et la chaussée étaient recouverts d’objets les plus disparates. « 

Page 169 :« Je profitai du répit que l’occupation italienne offrait à tous pour mettre mes affaires en ordre. J’allai, comme tout le monde, faire renouveler mon permis de séjour ainsi que mes cartes d’identité et de ravitaillement. Au commissariat de police et à la préfecture, j’eus la prudence de ne pas donner ma véritable adresse : j’indiquai celle de l’hôtel qui m’avait hébergée précédemment.

Pouvant de nouveau circuler, je faisais en hâte mes préparatifs de départ. Rien ne m’obligeait plus à vivre chez les deux tricoteuses de Cimiez. Aussi allai-je m’installer dans une villa, tout au fond d’un jardin abandonné, chez une Parisienne septuagénaire que je connaissais déjà depuis deux ans.

En prévision des persécutions futures, que je considérais comme inévitables, j’entourais de mille précautions mes allées et venues, cherchant à ne pas être vue, à n’éveiller aucune attention. « 

Page 200 :« Je restai un moment près de l’entrée, adossée au mur. Ma tête était lourde et vide à la fois. J’examinai la salle. Deux fenêtres grillées éclairaient des murs blancs. Des bancs et trois grandes tables meublaient la pièce. En face de la porte, une autre, moins grande, portait l’inscription faite au crayon : Cabinets.

Dès que la geôlière eut disparu, les prisonnières se levèrent de partout, nous entourèrent et nous assaillirent de questions. Quelles étaient les nouvelles de la guerre ? Les persécutions avaient-elles augmenté ou diminué d’intensité ? D’où venions-nous ? Comment s’était opérée notre arrestations ? Dans quelle localité avait-elle eu lieu ? Et ainsi de suite… « 

« Rien où poser sa tête », Françoise Frenkel, L’arbalète Gallimard, 16,90€.

 

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