De quoi tenir toutes les vacances ! Quand l’été arrive, deux options pour les lecteurs : choisir plusieurs romans courts, histoire de diversifier les plaisirs et les univers ou, au contraire, miser sur un gros pavé qui le suit sur la plage, dans le train, dans le hamac et même au lit !
« Purity » s’adresse aux partisans de la seconde option. Et devraient les enthousiasmer. Voilà un roman plutôt captivant tant dans son contenu que sa construction.
L’histoire écrite par Jonathan Franzen, – auteur de plusieurs romans dont « Corrections » qui lui a valu le National Book Award 2002, mais aussi de « La zone d’inconfort » ou encore « Freedom » – a, avec « Purity », imaginé une histoire aux rebondissements tentaculaires, qui nous fait voyager dans le temps et l’espace, entre Etats-Unis, Amérique latine et vieille Europe.
L’histoire ? C’est d’abord celle de Purity, qui préfère se faire appeler Pip. Une jeune femme, cynique et drôle, entrée dans la vie active avec une lourde dette étudiante. Une jeune femme qui doit s’occuper de sa mère dépressive et si secrète sur l’histoire de sa propre conception. Et pour cause.
Sa mère, de son vrai nom Anabel et non Penelope Tyler comme elle est connue depuis des décennies, est l’héritière d’une très riche famille industrielle américaine. Elle a rompu tout lien après un mariage raté avec un journaliste, Tom Aberant. Pour trouver son géniteur et lui faire rembourser son prêt étudiant, ,Pip va, par l’entremise d’Annagret, une Allemande de l’ex-RDA qui va la faire se rapprocher du charismatique et énigmatique Andreas Wolf, qui à travers son Sunlight Project installé dans le désert bolivien, veut rendre le monde transparent ( en faisant éclater notamment les secrets d’Etats et autres manipulations d’entreprises) en s’appuyant sur les réseaux sociaux. L’homme est, lui, aussi, issu de l’ex-RDA où il a vécu auprès de parents à la solde du régime. Jeune adulte, il entre en dissidence et tuera un homme pour l’amour d’Annagret. Un personnage qui nous fait penser à Julian Assange. Au sein de cette organisation, le nom du père de Pip pourrait alors apparaître… Il se trouve d’ailleurs qu’Andreas Wolf le connait. Et doit régler un vieux différend avec lui.
Bientôt une série
avec Daniel Craig
Les histoires se mélangent. Les allers et retours entre l’ex-RDA sous la coupe de la Stasi, la Californie et la Bolivie se succèdent tandis que les personnages se dévoilent les uns après les autres. Tous, ou presque, ont quelque chose à cacher alors que le règne de la transparence est enclenché.
Un roman long, certes (743 pages quand même !) mais exaltant. Au fil des chapitres, le puzzle se reconstitue. Terrible. Et l’histoire de Pip apparait. Et si la transparence à tout prix était une autre forme de dictature ? Entre secrets et pureté morale, deux visions de notre société contemporaine entrent en collision. Avec des dommages collatéraux. Cette fois encore, Jonathan Franzen mêle l’intime et le collectif.
Un roman dont on tourne actuellement une série en vingt épisodes avec, excusez du peu, Daniel Craig dans le rôle d’Andreas Wolf.
Extraits
Pages 53-54 : « A onze ans, Pip était extrêmement crédule. Sa mère avait une longue et fine cicatrice sur le front qui ressortait quand elle rougissait, et elle avait les dents de devant écartées et d’une couleur différente des autres. Pip était si certaine qu’elle s’était fait casser la figure par son père, et si triste pour elle, qu’elle ne lui avait même pas demandé de le confirmer. Pendant un certain temps, elle avait eu trop peur de lui pour dormir seule la nuit. L’accueillant dans son lit et l’étouffant de câlins, sa mère lui assurait qu’elle ne risquait rien tant qu’elle n’en parlait à personne, et la crédulité de Pip était si absolue, sa peur si réelle, qu’elle s’était tue jusque tard dans ses années d’adolescence rebelle. »
Page 398 : « Tout bien considéré, elle était fière de n’avoir bu que quatre margaritas avec les stagiaires ce soir-là. Entre ses mensonges et les tensions dans la maison, cela semblait n’être qu’une question de temps avant qu’elle ne se retrouve de nouveau sans travail et à la rue, après avoir raté sa rencontre avec le destin. Elle savait ce qu’elle devait faire. Elle devait trahir Andreas et tout avouer à Tom et Leïla. En même temps, elle ne pouvait supporter l’idée de les décevoir.
En ne disant rien, elle protégeait un assassin, un fou, un homme en qui elle n’avait pas confiance. Néanmoins, elle rechignait à rompre tout lien avec lui. Il l’avait torturée psychologiquement et elle prenait un plaisir malsain à lui rendre la pareille – à être celle qui, à Denver, connaissait ses secrets et nourrissait son inquiétude. Sans sa présence quotidienne pour rappeler à Pip la méfiance qu’il lui inspirait, son pouvoir, sa gloire et son intérêt particulier pour elle n’en étaient que plus propices au fantasme sexuel. Il avait un score nul dans certains compartiments importants du domaine amoureux, mais il battait tous les records dans d’autres. »
Page 598 :« Il n’y avait que ce point de vue-là qu’il se considérait comme un apparatchik. Pour le reste, dans ses interviews, il dédaignait la rhétorique révolutionnaire et grimaçait intérieurement lorsque ses employés parlaient de contribuer à un monde meilleur. De l’exemple d’Assange, il avait appris quelle folie c’était d’attribuer des prétentions messianiques à sa mission, et s’il trouvait une satisfaction ironique à être réputé pour sa pureté, il ne se faisait aucune illusion sur sa véritable capacité à la préserver. La vie aux côtés d’Annagret l’en avait guéri. »
« Purity », Jonathan Franzen, Editions de l’Olivier, 24,50€