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Rentrée littéraire

TROPIQUE

Nouvelle chronique sur la rentrée littéraire qui, je vous le dis tout net, compte 560 romans ou recueils de nouvelles, français et étrangers. Une moisson moins dense que celle de l’année dernière ( 589) et qui se répartit comme suit :

- 363 romans français dont 66 premiers romans

197 romans étrangers.

Parmi les romans français, celui de Nathacha Appanah, « Tropique de la violence », paru chez Gallimard.

L’auteure, qui signe là son sixième roman, est Mauricienne d’origine. Installée en France depuis la fin des années 90, cette quadrégénaire avait avec « Le dernier frère » paru en 2007, raflé plusieurs prix littéraires.

 

 

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Elle revient avec « Tropique de la violence », qui nous parle, à travers la voix  et l’histoire de cinq personnages, de ce qui fait le quotidien de Mayotte, 101e département français et véritable brasier social comme l’ont encore montré, au printemps dernier, la grève générale, et les violences urbaines qui ont agité l’île.

Rappelons que l’île, depuis le 101e département français en 2011, compte 220.000 habitants et qu’elle est soumise à une immigration massive en provenance majoritairement de l’archipel des Comores, indépendantes depuis 1976.

Sur place, les syndicats, les habitants réclament « l’égalité réelle » avec la métropole. Dans la réalité, droit du travail, prestations sociales et infrastructures publiques ne sont pas dispensés de la même manière. Loin de là. Et les écarts s’amplifient.

 

 

 

GRAPHIQUES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Nathacha Appanah a vécu à Mayotte de 2008 à 2010. Elle y est retournée l’an dernier, une partie de son roman déjà achevée pour « valider » comme elle dit, les odeurs, les sensations déjà couchées sur le papier.

L’histoire ? Elle est portée par cinq personnages qui, tour à tour, prennent la parole et racontent leur quotidien et la violence qui l’émaille.

On suit d’abord Marie, infirmière venue travailler à Mayotte. Elle y fait sa vie. Se marie. L’enfant ne vient pas. Elle divorce et prendra celui d’une Comorienne venue dans un kwassa (embarcation qu’utilisent notamment les migrants) avec son bébé dont elle ne veut pas, il a les yeux vairons, les yeux du Diable…

L’enfant, elle le prénomme Moïse et l’élève « comme un Blanc ». Ce que finira par lui reprocher l’adolescent, tombé dans la violence.

Bruce et La Teigne voudront l’enlever, pensant qu’il vit comme un privilégié. Entre temps pourtant, Marie meurt prématurément. Moïse, qui n’a que 14 ans, perd pied. S’enfuit avec son chien. Il a compris qu’il a échappé au destin d’un clandestin. Mais  l’enfer commence. Il finira par tuer Bruce, le caïd du bidonville de Gaza.

S’y ajoutent Stéphane, venu mettre en place une structure à destination des jeunes désoeuvrés, qui viendra en aide à Moïse avant que Bruce ne fasse courir des fausses rumeurs sur eux deux. Puis Olivier, le policier, décontenancé par le profil de Moïse et ce qu’il a fait de sa vie.

Marie et Bruce, décédés, nous parlent de l’au-delà. Histoire de rappeler qu’à Mayotte, les vivants partagent l’espace et le temps avec leurs fantômes.

Sur fond de misère sociale, de drogue, de populisme dégoulinant et de pratiques ancestrales, le roman fait un focus assez terrifiant sur un bout de France laissé à l’abandon.

Edifiant. Terriblement bien écrit. Et passionnant à lire.

Dans un article paru dernièrement dans Le Monde, l’auteure explique  :

 » […] Mayotte est un concentré de toutes nos problématiques actuelles. C’est un cas d’école du déplacement des populations, des problèmes écologiques, de l’identité. Tout ce qui est au cœur même de notre monde actuel est aujourd’hui concentré sur cette petite terre. « 

« […] Ce n’est pas une terre oubliée, mais, à l’heure de la crise financière, c’est une île où l’on colmate et où la coopération régionale est inexistante. L’attachement à la France y est immense. »

Extraits

Page 30 : « Parfois, je pense à la maison désormais vide de mon enfance et me vient cette idée saugrenue que j’y serais bien, la-bas, maintenant. J’échapperais à cette chaleur qui me vrille la tête, j’échapperais à ce pays que je sens parfois bouillir de rage, j’emmènerais Moïse loin d’ici. Finalement j’ai trouvé le courage de lui parler. De lui raconter son histoire. J’ai commencé comme ça C’était le 3 mai, il pleuvait, ta mère est arrivée dans un kwassa sur la plage de Bandrakouni. Je pensais que ça lui suffirait mais non, chaque jour il veut que je parle à nouveau, que je raconte encore et encore, plus lentement, que je me rappelle des couleurs, des formes, des mots exacts mais, moi, j’ai tellement mal à la tête et je ne veux plus ressasser la même chose et Moïse se met en colère, me traite de menteuse, il veut aller sur la plage de Bandrakouni, mais comment lui dire que ce n’est qu’une plage, qu’il n’y a rien qui l’attend là-bas. »

Pages 34-35 : « Cette ile, Bruce, nous a transformés en chiens. Toi qui avais choisi le prénom d’un superhéros, Bruce Wayne, m’avais-tu expliqué, en sautillant sur place comme si tu avais des ressorts aux pieds. Bruce Wayne, l’homme chauve-souris, parce que tu aimais les chauves-souris, enfin c’est ce que tu disais car moi je ne t’ai jamais vu aimer autre chose que fumer et dominer les autres.

Cette île a fait de moi un assassin. Tu te souviens, tu me disais Pas de pitié Mo, et regarde, Bruce, je n’en ai pas eu pour toi, ce matin ».

Page 164 : « Ecoute le bruit de mon pays qui gronde, écoute la colère de Gaza, écoute comment elle rampe et qui rappe jusqu’à nous, tu entends cette musique nigga, tu sens la braise contre ton visage balafré. Regarde, Mo, regarde de ton oeil de djinn de malheur. Ils viennent me venger.

Ils viennent pour toi. « 

« Tropique de la violence », Nathacha Appanah, Gallimard.

 

 

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