Rentrée littéraire
La rentrée littéraire permet de faire de chouettes découvertes… mais aussi de retrouver des auteurs qu’on apprécie, qu’on suit. Catherine Mavrikakis en fait partie.
Troisième fois que j’évoque l’oeuvre de cette auteure qui vit à Montréal et qui signe avec « Oscar de Profundis » son quatrième roman publié chez Sabine Wespieser éditeur.
Mes posts concernant les deux précédents : « Les derniers jours de Smokey Nelson » et « La ballade d’Ali Baba » sont disponibles ici et là.
Catherine Mavrikakis, née en 1961 à Chicago, d’une mère française et d’un père grec qui a grandi en Algérie. Elle a partagé son enfance entre Ville d’Anjou, Montréal-Nord, Villers-Bocage en Normandie et Bay City, au Michigan.
En 1979, elle choisit vraiment Montréal, où elle fait des études de littérature et une dépression, qui la conduira à de longues années de psychanalyse. Il lui en restera toujours quelque chose…
Elle enseigne à l’Université de Montréal.
Et voilà qu’elle nous revient avec un roman surprenant. Un roman d’anticipation. Une histoire dans laquelle plus grand-chose de notre quotidien ne subsiste.
L’histoire ? Elle est surprenante. Et très éloignée de l’univers littéraire de l’auteure. Nous sommes en novembre, dans les années 2060. La fin du monde est proche. A Montréal, Oscar de Profundis, rock star interplanétaire, est revenu pour deux concerts exceptionnels sur les traces de son passé. Sur les souvenirs de ses douleurs passées ( l’enlèvement et la mort de son jeune frère notamment, la mort de sa mère).
Dans un monde qui parle désormais le sino-américain, lui a tout fait pour préserver la langue française. Il révère les écrivains français (d’où la référence au titre) et francophones, a imaginé des musées à leur mémoire et conserve tout ce qu’il peut.
Enfermé dans une maison du XIXe siècle alors que dehors la peste se répand dans les hordes de pauvres qui errent à travers la ville abandonnée par les nantis et que l’état d’urgence a été décrété, il va pourtant faire l’objet d’un kidnapping par Cate (ancien médecin devenue chef de bande), son épervier et les gueux qui la suivent. Mais le destin va s’en mêler…
Et si les mots, la littérature étaient les derniers remparts contre la barbarie, l’oppression et le désespoir ?
Un roman étonnant mais dans lequel on plonge rapidement, attiré par la densité et l’étrangeté des personnages, par l’atmosphère de fin du monde aussi.
Extraits
Page 16 : « On venait entre amis voir à quoi pouvaient encore ressembler les anciens grands boulevards et la désuète agitation des artères passantes. On en profitait pour jeter un coup d’oeil sur ces meutes de créatures citadines que le monde entier n’arrivait plus à cacher et dont on ne cessait de parler sur Internet. Le manque d’hygiène et le mode de vie qui était le leur avaient, depuis cinq ans, créé sur la planète un ensemble de conditions propres à leur éradication. C’est ce qu’affirmaient les scientifiques. Déjà, les bandes de miséreux s’étaient éteintes à Londres, Chicago, Rio de Janeiro, Los Angeles, Helsinki et Moscou. Les riches s’étaient hâtés de se réinstaller en ville . Les autorités préféraient ne pas trop analyser ce phénomène, mais il était certain que la maladie avalait la valetaille urbaine. La populace finirait bien par s’étouffer dans les miasmes de sa propre déchéance. Elle s’effacerait de la surface de la Terre. Il n’y avait qu’à rester patient et surtout faire en sorte que la contamination se limite aux meurt-de-faim. »
Page 88 : « Pendant des semaines, il avait dressé des listes et des listes sur lesquelles il avait frénétiquement écrit et biffé des patronymes. Qui devait-il préserver du néant ? Sur quels critères sauverait-il les cadavres et les tombeaux? Y avait-il des artistes qu’il préférait ne pas déplacer ? Et lesquels ? Oscar se posait toutes ces questions dans la ferveur et l’anxiété… Les cimetières avaient annoncé petit à petit leur liquidation. L’Etat mondial était ravi de se débarrasser de ces vieilleries encombrantes, tout en gagnant de l’argent. Quelques excentriques richissimes tenaient à récupérer les choses du passé. On les laissait faire pour le moment. Viendrait une loi, un jour, où ce genre de conservation serait interdit. Mais on n’en était pas là. »
Page 156 : « Il avait réussi à créer une communauté d’admirateurs excentriques, irrespectueux, rebelles et même éduqués, qui se mêlaient à la horde incommensurable d’idiots qui le vénéraient, à travers leur vide existentiel et la vacuité de leurs actions. Et il vivait ainsi dans un univers fictif où il s’adonnait à quelque rêve ancien. Il voyait son maître dans le personnage de Jean des Esseintes, du roman A rebours. Il s’attachait à des oeuvres qui n’avaient jamais fricoté avec le réel , qui s’étaient toujours dédiées à décrire l’improbable et où la langue tarabiscotée tenait à distance la banalité du présent. Seul l’aboli ou encore l’impossible l’intéressait, puisque la vie qui grouillait devant lui le dégoutait prodigieusement. »
« Oscar de Profundis », Catherine Mavrikakis, Sabine Wespieser editeur, 21€