Rentrée littéraire
Laurent Mauvignier fait partie de mon panthéon personnel. Plus de quinze ans que ça dure ! Et jamais une déception… Pas si courant, non ?
Interviewé en décembre 2016, vous trouverez ici la page qui lui a été consacrée dans La Nouvelle République du centre-ouest le 28 janvier. Un peu d’auto-promo, oui, je sais…
L’auteur, né à Tours, est de retour pour cette rentrée littéraire avec « Continuer ». Ses deux précédents romans, publiés depuis toujours aux Editions de Minuit, sont évidemment sur Quatrième de couv ici et là.
L’histoire de ce nouvel opus ? C’est celle de Sibylle et de Samuel, son fils adolescent. Un jeune homme désoeuvré, perdu, pas vraiment remis de la séparation de ses parents. Benoît est resté en région parisienne. Sa mère s’est installée avec lui à Bordeaux.
Une énième grosse bêtise plus tard et Sibylle décide d’agir. A sa manière. De vendre la maison de son père, de quitter son poste et de mettre le cap à l’Est. Vers l’Asie centrale. De prendre la tangente pour sauver sa peau. Celle de son fils aussi.
Elle part avec son fils pour plusieurs mois au Kirghizistan. Là-bas, à dos de cheval, il s’agit pour l’un comme pour l’autre de faire un pas. D’avancer. D’apprendre à se connaître. Et, pour Sibylle, de se réconcilier aussi avec ses rêves, son passé. Quand la petit-fille d’immigrés russes voulait être chirurgien. Quand elle voulait être médecin. Et quand elle croyait aimer toute la vie son seul et unique amour, qu’un terrible attentat lui a enlevé, un jour à Paris.
Un roman dans lequel les paysages et les chevaux – Starman et Sidious – ont autant d’importance que la relation mère-fils qui se noue et se dénoue au fil des pages, des kilomètres parcourus et des événements. Une histoire qui se décline comme un cri d’amour d’une femme un peu larguée dans sa vie et ses rêves pour son fils. Malgré tout.
Laurent Mauvignier est un de ses rares auteurs qui ne me déçoit jamais. Voici donc un joli roman, malgré une fin un peu convenue je trouve.
Mère et fils, si différents et pourtant si semblables, ne serait-ce que dans le choix des morceaux qu’ils écoutent comme « Heroes »de David Bowie. Il a guidé Sibylle quand elle était amoureuse et pleine de projets, il accompagne Samuel dans son apprentissage.
Extraits
Page 123 :« Samuel repense à ça et il regarde sa mère qui se débat avec trois gamelles pleines de boue. Il a envie de lui gueuler qu’il comprend pourquoi son père est parti, que c’est à cause d’elle, que tout est à cause d’elle, qu’il est parti par sa faute à elle et que maintenant c’est lui qui va partir et ce sera aussi de sa faute à elle. Sibylle frotte ses mains pleines de griffures et des bras tachés de boue. Samuel pense qu’il la déteste, qu’il ne veut pas lui ressembler. Il a honte, tellement honte, il éprouve du dégoût et une sortie de pitié dont il a honte aussi.
Sa mère, sa mère, sa pauvre mère.
Il voudrait qu’elle soit morte ; il voudrait pouvoir regretter sa mère et garder à l’esprit une simple image d’elle, lorsqu’il était enfant, un souvenir que lui tiendrait de mère. Ce serait magnifique, sans aspérité, une image morte mais chaude, loin de ce qu’il voit de sa mère aujourd’hui – oui, parfois, il préférerait que sa mère soit morte. »
Page 127 :« […] Où est-ce qu’elle avait pu croire qu’une fille comme elle aurait pu écrire des livres, des romans ? Et même, un moment elle avait travaillé comme une folle à son roman, elle avait travaillé comme une folle pour devenir chirurgien, et tout le monde l’en avait crue capable, tout le monde s’était trompé sur elle, oui, tout le monde lui disait qu’elle aurait fait son métier avec talent et abnégation. Tout le monde s’était trompé pour la chirurgie, et heureusement, personne n’avait su pour le roman.
Le plus souvent elle oublie, mais parfois, ça revient : une bouffée de honte. Elle n’éprouve même pas un vague sentiment de tendresse, de pitié amusée, de reconnaissance pour la jeune femme qu’elle a été, qui avait cru qu’on peut vivre et accomplir des choses plus grandes que nous. Non. Pas de sentiments, pas de pitié – juste la honte, le dégoût, le mépris de soi. »
Page 188 : « C’est soudain comme si le fait d’avoir pensé à elle avait précipité Samuel. Elle qui l’avait oublié ce soir. Elle l’a oublié, le temps de s’oublier elle-même. Le temps de penser à la femme qu’elle est, cette femme qui était tellement morte en elle, depuis si longtemps… Elle a cru qu’elle pourrait la réveiller, l’aider à se relever, et maintenant elle se dit que si Samuel est blessé, si Samuel est perdu, si Samuel ne revient pas, elle ne se le pardonnera jamais. Elle ne survivra pas à ça, elle refuse de survivre à ça, elle y a survécu déjà une fois, elle ne pourra pas y survivre une deuxième, elle sait qu’on ne peut pas. Et maintenant elle frappe son cheval, elle gueule contre son cheval, elle crie pour appeler Samuel, mais autour d’elle la forêt semble avaler ses cris et elle avance en écrasant les branches, des brindilles sèches qui cassent comme des carapaces, des ossements. »
« Continuer », Laurent Mauvignier, Editions de Minuit, 17€.