Un premier roman, ça vous dit ? Moi, je ne m’en lasse pas. Alors je vous propose de découvrir celui de Marie Barthelet, « Celui-là est mon frère », publié chez Buchet-Chastel, maison d’édition décidément bien inspirée !
Ce que je sais de l’auteure ? Elle a 27 ans. Marie Barthelet est animatrice du patrimoine et responsable du musée de la Charité-sur-Loire, dans la Nièvre.
La jeune femme a procédé à une réécriture de récit de l’Exode dans ce roman à la langue très inspirée.
Pas de prénom, pas de pays désigné, pas d’époque non plus mais un drame qui se joue. Au départ, deux frères de coeur inséparables. Les deux enfants, le fils du dirigeant et celui qui deviendra son frère, ont grandi ensemble. Un argument politique. Les années passent. Ils sont promis à une avenir politique ensemble, à la tête du pays. Malgré leurs différences. Ataviques.
Celles-ci éclateront au grand jour après que le fils adopté a tué un policier. Il s’enfuit. Et le voilà de retour. Il est désormais le porte-drapeau de la minorité, humiliée, dont il est issu. Celui avec qui il partageait tout dirige à présent le pays. Entre souvenirs et choix politiques, tandis que le pays se retrouve la proie de calamités inexpliquées, deux destins se croisent, racontés uniquement du point de vue du chef d’Etat.
Dix ans ont passé. Le frère est devenu l’Ennemi. Peut-on tout sacrifier à la raison d’Etat ? Et si son affection était devenue mortelle ? A la manière d’un conte, la jeune auteure livre une histoire universelle et singulière à la fois.
Un formidable roman, lu d’une traite. Extrêmement prometteur.
Ici, l’auteure nous parle de son premier roman
Extraits
Page 47 :« Tu as taillé dans le vif. Dahoum, d’ordinaire stoïque, n’a pu s’empêcher de te dévisager. Ce n’était pas la première fois qu’il entendait ce genre de discours, mais énoncé sur ce ton, avec des phrases pelées jusqu’au noyau, des mots choisis pour leur clarté abrupte… Jetées aux ordures, tes façons de diplomate ! De fait, tu ne demandais rien, tu ne proposais rien, ne me priais pas, tu martelais des “Nous voulons”, des “Nous réclamons” et des “Nous exigeons” autant qu’il en fallait, des fois que je serais imbécile. J’ai songé : le “nous” d’hier, c’était toi et moi; aujourd’hui, c’est toi et eux seuls.
Eux. La triste minorité de mon pays. Je comprenais que des années durant tu avais partagé leurs maux, bu leur aigreur, mangé leur colère. Que tu avais fréquenté leurs meneurs et que, les balayant de ta superbe, tu t’étais emparé de la Révolte. «
Page 91 : » Ta présence donnait sens aux pires calamités. Tu soutenais que ces fléaux qui accablaient mon peuple et mon pays – autrefois ton peuple, autrefois ton pays –, que ces fléaux étaient mérités. Parce que les inégalités de traitement entre les tiens et les miens ne me révulsaient pas. Parce que je tolérais qu’elles subsistent. Parce que je ne faisais rien pour changer l’Histoire et la Loi. Parce que j’étais à la fois obtus et sans scrupules, autoritaire et permissif, lâche et opiniâtre, parce que en somme j’étais un tyran. L’Histoire punit les tyrans. Et avant de les punir en personne, elle sape les fondements de leur toute-puissance.
Que disais-tu ? “Je t’avais averti”. Tu restais neutre, correct. Mais au fond, depuis le début, tu me sermonnais. Et s’il y a une chose que je déteste, c’est que l’on me fasse la morale… «
Pages 113-114:« Et cela a commencé à transparaître. Wadjat, Dahoum, Shemset l’ont remarqué. Il n’est plus comme avant. Il ne sait plus choisir. Il a peur. Tout le monde au palais le susurre. Mes conseillers proches, mes collaborateurs : tous ont noté que je ne me comportais pas comme d’habitude. Dès le début, ma permissivité à ton endroit les a outrés. Qu’est-ce que j’attendais ? Les fléaux qui ravageaient notre pays étaient une chose. Masi toi, on pouvait t’écraser. Ce serait toujours ça de pris, une épine tirée du pied. Toi, l’icône rebelle ! Toi, l’incarnation du mauvais sort ! Qui savait si, en te supprimant, on n’en finirait pas avec la fatalité ? N’était-il pas possible de commanditer ton meurtre ? De te jeter en prison avec tes amis fauteurs de troubles, d’au moins vous raccompagner à la frontière… ? A quoi pouvais-je bien penser ? »
« Celui-là est mon frère », Marie Barthelet, Buchet Chastel, 14€.