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Une si longue mue…

Rentrée littéraire

Une chance folle

On poursuit notre virée au milieu des livres de la rentrée littéraire.  Petite halte à Tours – ça tombe bien ! – pour découvrir Anne Godard et son nouveau roman « Une chance folle », publié aux Editions de Minuit.

Ce professeur d’université a posé ses valises à Tours il y a quatre ans, après plusieurs années passées en Sologne. Partagée entre Paris (pour les cours) et les bords de Loire, Anne Godard écrit depuis très longtemps, comme elle me l’a expliqué lors de l’interview publiée dans la série estivale de La Nouvelle République édition Indre-et-Loire Plumes d’ici.

 

 

« Ecrire m’est par moments nécessaire, par moments impossible, c’est une expérience très intense, absorbante et dangereuse d’une certaine manière, car ce qui m’intéresse, c’est d’arriver à frôler des états qui sont difficiles, où l’on peut se perdre, en étant au plus près des sensations où le physique et le psychique se confondent », m’expliquait-elle lors de l’interview.

Une explication qui prend tout son sens après la lecture de « Une chance folle ». Lauréat du Grand Prix RTL-LIre pour son premier roman « Inconsolable », Anne Godard signe un roman court, ramassé, dense et violent.

Une violence latente. A cause du huis clos qu’il installe entre une jeune femme et sa mère dont le père et le frère sont exclus. Tout comme le bébé, une petite fille, qui ne survivra pas.

Un voyage dans le temps. Douloureux. Et pour cause. Magda a été gravement brûlée lorsqu’elle avait quelques mois. Elle ne s’en souvient, mais sa mère a scrupuleusement tout noté dans un carnet. Des pansements aux cures, des opérations de greffe aux rendez-vous chez les spécialistes. Comme pour se justifier. Ou arrêter de culpabiliser. Elle tient le beau rôle. Celui de l’abnégation.

Magda devrait se dire qu’elle a de la chance, sa mère ne l’a pas lâchée…

Sauf que Magda, bébé ébouillanté, n’a pas accès à ses propres souvenirs. Elle se raconte son histoire par l’entremise de sa mère. Il est temps qu’elle s’affranchisse. Qu’elle se libère… Et qu’elle change de peau.

Au fil des pages, Anne Godard donne à lire une terrible description de la douleur. Qu’elle soit physique ou psychique.

Extraits

Page 10 :« Je ne peux pas la voir en entier, même dans un miroir, et souvent ce sont les autres qui me la rappellent. Une hésitation, un clignement des yeux, l’adaptation du regard à quelque chose d’inattendu, la surprise aussitôt surmontée d’une couleur un peu différente, d’un repli qui n’aurait pas dû être, cela suffit. Je sais ce qu’ils ont vu, je sais qu’ils n’osent plus regarder, je sens leur gêne ou leur curiosité, et pendant un instant, je sens que je pourrais les tuer, pendant un instant je les hais, sans limite, par réflexe, comme on retire sa main d’une surface qu’on ne savait pas brûlante, avant même d’y penser, et sitôt qu’on y pense, c’est fini, je n’ai plus peur et je peux cesser de vouloir tuer comme je cesse d’essayer de me défendre. »

 Page 43 :« Je deviens sage comme une image, sage et soumise comme l’image que je vois dans les yeux de ma mère. De toutes mes forces, j’essaie de ressembler à cette image dont ma mère veut s’occuper. Je me laisse faire et je la laisse me faire ce qu’elle veut. Je suis prête à tout et, du moment que je me tais, elle semble contente d’avoir mon corps pour se soigner. « 

Page 93 :« A ces filles qui se disent mes amies, je ne confie rien de ce qui m’importe. C’est une habitude prise depuis longtemps. Je n’ai jamais pu parler de la cicatrice sans susciter tout à la fois des haut-le-coeur, sincères ou joués, et des manifestations de pitié. Je ne serai la pauvre de personne. Elles ne comprendraient pas si je leur disais que le pire de tout ce qui m’est jamais arrivé, c’est leur pitié qui m’abaisse et me ravale à une chose informe et sans volonté, une sorte de larve débusquée qui se tortille en agonisant, nue, hors de son nid, une larve répugnante, mais désarmée, qu’on écrase pour l’achever. »

« Une chance folle », Anne Godard, Les Editions de Minuit, 14€.

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