Rentrée littéraire
Célia Houdart, je l’avais découverte avec « Gil », également paru chez P.O.L.. Puis je l’avais rencontrée, au hasard d’une exposition puis d’une lecture, à la Maison des arts Georges-Pompidou, à Cajarc, dans le Lot. Un chouette moment !
C’est donc avec intérêt que j’ai plongé dans son nouveau roman, » Tout un monde lointain « . Et je n’ai pas été déçue.
Cette fois encore, Célia Houdart offre une histoire singulière. Avec, toujours, une petite musique qui ne ressemble qu’à elle.
L’histoire ? Elle s’ouvre sur un premier chapitre dont on ne sait, tout d’abord, pas quoi faire. Qui est donc cette petite fille qui, en 1918, marche dans les herbes sous le regard de son père ?
On suit ensuite Gréco, ensemblière désormais à la retraite qui partage ses journées entre sa maison de Roquebrune-Cap-Martin, ses balades et ses bains de mer. Sa carrière a été fructueuse. Elle est riche, cultivée. Désormais seule.
Toujours, elle veille aussi sur la maison de son ami Alexander, disparu deux ans plus tôt : la villa E.1027, formidable création de l’architecte Eileen Gray.
Un jour, cet équilibre vacille. Un couple, Tessa et Louison, s’est installé dans la maison fermée. Ils sont étudiants, danseurs et follement amoureux. Elle les regarde vivre, s’inquiète pour l’état de la maison de son ami. Contre toute attente, elle accueille finalement ce changement puis se lie d’amitié avec ces deux jeunes gens, beaux et inspirés. Malgré les facéties souvent gores de Louison…
L’occasion pour elle, avec eux, de remonter le temps. Les souvenirs de Gréco, cette petite fille d’origine polonaise, vont revenir par vagues. Tessa et Louison vont l’empêcher de s’y noyer…
Célia Houdart a l’art d’une écriture sensible. On sent le soleil et le vent. L’atmosphère, un temps pesante, devient douce, paisible. Comme une caresse.
Extraits
Page 48 :« A chaque nouvelle visite, c’est de lui-même que l’avocat informait Gréco de l’avancée de la succession Sthol, dont ils savaient très bien tous deux que la villa E.1027 constituait le bien le plus précieux. L’avocat avait promis à sa vieille cliente et désormais amie que si la villa était mise en vente, elle serait pour elle. Gréco la voulait à n’importe quel prix. Elle était disposée à vendre la boutique de New York et ses actions. Mais tout était bloqué depuis plusieurs années. Un cabinet de Los Angeles avait demandé un complément d’enquête dans l’espoir un peu vain de récupérer aussi, un jour, les quelques pièces volées, dont le miroir satellite, qui avaient dû être vendues à un marché aux puces en France ou en Italie ».
Page 136 :« Louison et Tessa adoraient nager nus sous l’eau. Ils aspiraient beaucoup d’air pour faire durer le plus longtemps possible l’état d’apesanteur. Ils ouvraient les yeux. Dans l’eau, le soleil formait comme de fines paillettes d’or qui tournoyaient en scintillant. Leurs corps pouvait être à la fois étincelant et étrangement pâle, soudain refroidi par la lumière. Les chevelures étaient des crinières flottantes. Tessa et Louison prenaient l’eau avec les mains et la vigoureusement. Ils s’enfonçaient peu à peu, le visage en proue. Les bras le long du corps, ondulant comme des nageoires. Des poissons à ventre blanc les frôlaient quelquefois par bancs entiers. »
Page 147 : «
- J’aurai dû vous parler de Louison et de ses mises en scène macabres. Il ne me prévient pas toujours, vous savez. Il ne faut pas lui en vouloir. Il meurt régulièrement. Il meurt pour rire. C’est son plaisir. Il adore faire peur. Il se ruine en maquillage. Il achète ce qui se fait de mieux. Plusieurs fois, il a été assistant pour des tournages. Blessures, brûlures. Cicatrices. Il maîtrise toute une gamme d’effets. C’est toujours très réaliste. Il règle avec beaucoup de précautions des choses terribles, les pires atrocités, mais en fait c’est à chaque fois un numéro de cabaret.
A cet endroit, le sentier était ombragé. Il faisait moins chaud. Gréco respirait un peu mais elle avait encore les yeux fixes. Elle revoyait cette apparition monstrueuse. Tout se redéroulait dans sa tête. Elle était très secouée. »
« Tout un monde lointain », Célia Houdart, P.O.L., 14€.