A chaque rentrée littéraire, je vous fais part de mon coup de coeur. Cette fois, je le tiens. Il s’agit du livre publié par Erwan Larher « Le livre que je ne voulais pas écrire ».
Un « objet littéraire », comme il le définit lui-même et qui m’a été chaudement recommandé par mes deux libraires préférées, à Tours et à Quimperlé. Alors je me suis laissée tenter. Et j’ai pris une claque. Enorme. Erwan Larher, écrivain désormais installé dans la Vienne, était au Bataclan au concert du groupe Eagles of Death Metal, le 13 novembre 2015.
Blessé dans sa chair (il a pris une balle à hauteur des fesses), il raconte avec un « tu » inspiré qui met l’horreur à distance, ce qui s’est passé ce soir-là, puis cette longue et éprouvante nuit. Et les jours, les mois d’après. Les questions, les sentiments, la peur et la douleur… tout y passe.
Un livre pas écrit pour aller mieux nous explique-t-il, mais pour partager. Parce que ce qui s’est passé cette nuit-là appartient désormais à tout le monde. Et parce qu’il est persuadé, depuis qu’il écrit, que les mots et ce qu’on en fait, peuvent changer le monde. Alors forcément…
Retrouvez ici l’article que j’ai consacré à son livre dans La Nouvelle République, le 8 novembre.
Cinq bonnes raisons de lire « Le livre que je ne voulais pas écrire »
– Parce qu’Erwan Larher est écrivain, auteur de cinq romans avant la publication de ce qu’il définit comme n’étant « ni un récit, ni un témoignage, ni un truc larmoyant ». Il a un style, un rythme et beaucoup d’humour même pour parler de tout cela.
– Parce que l’auteur raconte de manière très particulière ce qu’il a vécu dans sa chair cette nuit-là. Sans rien épargner au lecteur.
– Parce qu’Erwan Larhrer s’interroge tout au long de son livre sur sa légitimité en tant qu’écrivain à nous raconter cela et de cette manière-là.
– Parce que « Le livre que je ne voulais pas écrire » se nourrit aussi de textes de proches ( son père, son frère) et d’amis écrivains ou pas, offrant au lecteur des respirations « Vu du dehors ».
– Parce que l’auteur prouve qu’on peut mettre de la littérature au coeur d’un drame, aussi terrible soit-il et que ça fait du bien. Aussi.
Extraits
Page 98 : « En ce 13 novembre 2013, le destin te donne l’occasion de t’illustrer pour de vrai, grandeur nature, sur une scène à la démesure de ton super-héroïsme latent. Or, dès que tu entends les bruits de pétards, tu obéis aux “Couchez-vous !” qui suivent. Un héros n’obéit pas. S’il fait comme tout le monde dans l’adversité, il ne sauve personne. Pire : jamais te relever pour prendre la mesure de la situation, puis réagir avec sang-froid et efficacité, ne te traverse l’esprit. Tu restes pelotonné comme une lavette contre ta barrière métallique. Pour ajouter à ton avanie, une balle te transperce les fesses au bout de cinq minutes. »
Page 179 : « Ce qui te traumatise, c’est que tu ne sais pas si tu rebanderas un jour – la décence et l’orgueil t’empêchent encore de t’en ouvrir à des oreilles autres qu’hippocratiques. Nul doute que cette crainte prend toute la place et brésille les autres. Concernant ta jambe, les autorités compétentes semblent pronostiquer que tu auras peu de séquelles puisque la balle n’a pas touché le nerf sciatique ; pour la fonction évacuative du système digestif, Francesco juge la guérison en bonne voie. Le sujet sur lequel personne ne s’avance, c’est l’érectilité de ton avenir. Si tu dois faire des cauchemars, ils seront plutôt liés à ta dévirilisation. De toute façon, pour cauchemarder, il faut dormir. »
Pages 237-238 : « Un objet littéraire… L’expression ne cache-t-elle pas une volonté de contrôle sur ce projet ? Qui le desservirait. Qui expliquerait pourtant tu as tant tâtonné. Te te fliques, tu te brides. Pourquoi pas un récit, simple, comme si tu en parlais à tes potes? Tu renâcles. Te bats contre cette impression d’écrire pour les autres. Tu n’y prends même pas de plaisir, à ce fichu Projet B. […]
Un objet littéraire. Qui s’étoffe cahin-caha. Laborieusement. C’est pénible, insatisfaisant, tu tournes autour. L’angle d’attaque, bon sang, l’angle d’attaque ! Parce que débagouler tes petites misères, tes petits malheurs, pas question. Quelle idée d’avoir ouvert ta gueule, d’avoir annoncé que tu l’écrivais, ce Projet B.! Tu as la pression. Tu te sens attendu. Et puis jusqu’où aller ? Tu n’es pas seul dans cette histoire, qui ne finit pas bien pour tout le monde. L’angle ne peut être que l’individuel dans le collectif. Alors tu notes des idées de chapitres, des bribes comme… »
« Le livre que je ne voulais pas écrire », Erwan Larher, Quidam éditeur, 20€