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Rentrée littéraire

made in trenton

Un premier roman, ça vous dit ? Celui-ci est assez particulier, je vous préviens. Il part d’une bonne idée à laquelle on a cependant (un peu)  du mal à adhérer jusqu’au bout. Enfin, je vous laisse juger…

L’histoire ? Elle est étonnante. Déstabilisante aussi. Tout commence en 1946, dans le New-Jersey. A Trenton, on travaille l’acier. Un outil d’émancipation pour les classes laborieuses  après les horreurs de la guerre. Abe Kunstler est de ces ouvriers pauvres qui travaillent dur pour assurer le quotidien.

Il est travailleur, obstiné, bon camarade, buveur invétéré ( pour donner le change et brouiller les pistes)… et différent. Et pour cause. Il se présente comme « mutilé » pendant la guerre et laisse souvent une drôle d’impression ici et là. Personne n’imagine cependant qui y est en réalité.

Si je vous le dis d’emblée, la lecture de ce roman va sérieusement perdre de sa saveur, non ? Disons que le héros de ce premier roman n’a pas dit la vérité sur son identité. Il s’est inventé un nom, une vie. Un passé.

Des décennies qu’il la cache au regard de tous. Lui, le moins baraqué de ses collègues, est aussi celui qui prend le plus soin des autres…

 

 

Abe Kunstler, le visage fin et l’esprit aiguisé, a l’idée de construire une famille. Pour cela, il lui faut une femme, ce sera Inez. Une jeune femme perdue, fragile… et pas regardante. Au quotidien, son mari cache, dissimule, ferme les portes…

Pour faire un enfant, il faudra imaginer un stratagème, un plan sordide et délirant… qui aboutira. Mais à quel prix ?

D’année en année, Abe s’enfonce dans son mensonge, dans l’alcoolisme et la violence aussi. Sans solution de retour.

Devenu adulte, son fils Art, né handicapé, découvre quelque chose qui le choque et complique encore la relation qu’il entretient avec son père. Abe a peur pour son secret. Jusqu’où est-il prêt à aller pour cela ? … Art, lui, ne veut pas aller faire la guerre au Vietnam.

Deux mondes s’opposent. Et le rêve américain a pris un sérieux coup dans l’aile…

Un premier roman à la langue âpre et parfois au style alambiqué dans lequel on finit par ne plus y croire du tout.

L’auteur Tadzio Koelb est journaliste et traducteur. Il enseigne par ailleurs à l’Université de Rutgers dans le New Jersey et vit à New York.

 

 Extraits

 Page 26 : […] La cohérence et les détails : voilà ce qui le maintenant en sécurité. Un homme qui vient de se raser laisse toujours les mêmes indices – un blaireau plein de mousse, un rasoir humide ; il laisse une serviette mouillée sur la patère, aussi sûr qu’une voiture laisse des traces dans la neige en roulant. Kunstler laissa la porte claquer derrière lui et descendit les marches quatre à quatre. »

Page 113 : « La danse, mais aussi l’alcool, et pour que son plan fonctionne il les entraîna tous deux plus loin encore dans ce monde brumeux et oublieux, endroit déroutant où il ressentait un curieux mélange de sérénité et d’angoisse. C’était d’ailleurs cette sérénité même qui déclenchait sa peur : il paniquait à l’idée de se retrouver en public, avec aux manettes de son self-control sa seule main mal assurée d’ivrogne, et parfois il était furieux de voir le nombre d’occasions où il se surprenait à baisser la garde. Même avec les autres gars de l’usine, qui le connaissaient et acceptaient donc son attitude circonspecte ou qui, tout du moins, s’y étaient habitués, il savait que le risque que tout s’effondre était toujours présent. »

Page 153 : « Mais mentir à la mère voulait dire empêcher le garçon de s’approcher d’elle, et cela ramenait Kunstler à son point de départ, au point où il en était déjà : chercher le garçon, errer dans la ville avec Jimmy accroché à ses basques, devoir chercher Dieu sait où. et après, quoi ? Lui donner de l’argent pour partir, le chasser. Kunstler se demanda avec désespoir depuis combien de temps le garçon avait prévu de balancer ses sales petites accusations. Depuis des heures, ou des années ? Bien sûr, cela importait peu tant qu’il les avait gardées pour lui. Evidemment qu’il les a gardées pour lui, pensa Kunstler. Tout le monde saurait que c’étaient des mensonges, après tout. C’était invraisemblable de raconter une histoire pareille sur quelqu’un qui était un père, un ouvrier d’usine, un homme marié, un soldat mutilé de guerre. Personne n’y croirait. » 

« Made in Trenton », Tadzio Koelb ( traduction de Marguerite Capelle), Buchet-Chastel, 19 euros.

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