Rentrée littéraire
Céline Minard est une auteure assez inclassable qui a su, de livre en livre, se construire une place. A part.
Ses romans nous emmènent, en tout cas pour les derniers parus, dans un décor de western ( « Faillir être flingué »), nous entraînent en haute montagne à l’abri des gens (« Le grand jeu »)… ou dans un bunker ultra sécurisé dans la baie de Hong Kong.
Avec « Bacchantes », elle revisite avec brio les codes du film de braquage autour de la thématique du vin pour distiller un cocktail explosif où l’ivresse se mêle à la subversion.
Au fil des pages, on ne se pose pas la question du pourquoi, ni du comment dans ce braquage peu ordinaire. Reste le spectacle d’une société qui marche définitivement sur la tête, d’un désastre capitaliste. Et un roman qui donne la part belle aux femmes : elles ont pris le pouvoir à l’intérieur du bunker tandis que d’autres, une surtout, Jackie Thran, cherchent des solutions pour les en faire sortir. Des femmes puissantes, cinglées, féminines, efficaces.
Voilà cinquante-neuf heures, en effet, que la brigade de Jackie Thran encercle la cave à vin la plus sécurisée de Hong Kong, installée dans d’anciens bunkers de l’armée anglaise. Un groupe de malfaiteurs – en réalité trois héroïnes dionysiaques (trois femmes, Bizzie la clown hyperactive ; Jelena Drogan, spécialiste des explosifs surnommée la Bombe et Livia Scilla, dite La Brune. S’y ajoute un rat, Illiad) est parvenu à s’y introduire et garde en otage l’impressionnant stock qui y est entreposé. Le rêve d’Ethan Coetzer, qui réunit les amateurs de vins les plus fortunés du monde alors que le typhon Shanshan approche (classé 10 sur l’échelle de Beaufort), est en train de s’écrouler.
Un roman loufoque par son sujet mais rondement bien mené, malgré la fin, un peu bancale à mon goût. Mais l’esprit Minard est là, intact. Et c’est chouette !
Extraits
Page 15 : « Dès qu’il a su que Hong Kong était sur la route du typhon, Ethan Coetzer a dressé un plan de table idéal, passé des commandes et envoyé des invitations. Certains de ses hôtes auraient tout juste le temps d’atterrir avant la tempête qui s’annonce formidable. Il leur fallait un certain goût du risque, tempéré par la certitude de vivre un moment de totale sécurité chez lui, dans l’oeil du cyclone, dans sa pupille. Il les avait choisis pour ça. Ce n’était pas une opération marketing, c’était un manifeste. Et quelque chose comme un grain de sable est en train d’anéantir non seulement sa soirée mais aussi sa carrière. »
Page 32 : » – Bande de débiles ! J’ai une brigade prête à intervenir sur-le-champ, je n’ai qu’à faire un signe. Vous risquez votre vie, vous saisissez ?
L’écran se fige quelques secondes. Quand l’image repart, les trois braqueuses sont alignées face à la caméra, au garde-à-vous. La Clown se tourne lentement vers la droite, la Brune, lentement vers la gauche, la Bombe, au milieu, croise les bras, arrondit la bouche et dit :
-Ô.
Au bout d’un moment, elle tend devant elle son boitier, montre de l’index un bouton rouge à côté du joystick et répète d’une voix neutre le message du tweet envoyé soixante-cinq heures auparavant.- Vous ne pouvez plus entrer. Nous avons tout ouvert. Nous avons tout relié. »
Page 56 :« […] les paroles de la Brune l’ont suffoqué. Il a vu aussi clairement qu’elle ses cent mille bouteilles, alignées, privées de lumière, couchées dans leurs cellules individuelles, aussi impuissantes que d’authentiques otages. Chacune est un condensé, une métonymie organique, la rencontre d’un savoir-faire avec un sol et une année hasardeuse et unique. Elles sont toutes chargées de mémoire, pleines d’avenir, dans chacune une vie fermente. Ses caves d’élevage, de maturation, de garde auxquelles il a si soigneusement veillé se sont transformées en une dure prison noire d’où elles ne ressortiront peut-être pas, pas vivantes. Il en est révolté. Malade. Ce qui le trouble le plus, c’est que ces femmes montrent tous les signes d’une vraie connaissance du vin, et qui le connaît, l’aime. Elles ne peuvent pas tout boire, une vie n’y suffirait pas, ni trois. »
« Bacchantes », Céline Minard, Rivages, 13,50€.