Une très très jolie découverte ! Je n’avais, jusque là, jamais ouvert un roman d’Erri De Luca. J’aurais dû…
Ce livre arrivé à la rédaction s’est retrouvé sur mon bureau, pour ne plus me quitter. Ses cent soixante pages ont traversé, rempli ma petite personne. Avec poésie. Avec force aussi.
Erri De Luca, écrivain, poète et traducteur italien, est né à Naples en 1950. D’origine bourgeoise, il est destiné à une carrière de diplomate. Une voie qu’il ne suivra finalement pas, rompant au passage avec sa famille. En 1968, il rejoint la révolte ouvrière et intègre le mouvement d’extrême gauche Lotta Continua, dont il deviendra même un des dirigeants. Puis deviendra anarchiste.
Erri De Luca multipliera les métiers manuels, en Italie, en France, en Afrique. D’ouvrier à conducteur de camion, maçon aussi. Pendant la guerre de Yougoslavie, il s’engage comme conducteur auprès d’une association humanitaire, et convoie des camions de ravitaillement en Bosnie.
L’écriture et l’amour des livres, qui lui vient de son père, l’ont toujours accompagné. Son premier livre, « Une fois, un jour » paraît en 1989. Il obtient le prix Femina en 2002 pour « Montedidio » et le Prix européen de littérature en 2013.
Passionné d’alpinisme et d’escalade, il a lit également quotidiennement la Bible, bien qu’il se dise athée. De quoi d’ailleurs alimenter nombre de ses livres.
En 2015, il est poursuivi en justice pour avoir incité au sabotage du chantier de construction de la ligne TGV Lyon-Turin. Condamné puis relaxé, Erri de Luca se servira à nouveau de cette matière pour écrire.
Au final, son œuvre, riche ( une cinquantaine de romans, pas tous traduits en français ) et protéiforme, a accompagné notre histoire contemporaine.
Avec « Le tour de l’oie », il signe son roman le plus intimiste et, le temps d’une nuit orage, entretient une conversation intime avec le fils… qu’il n’a jamais eu.
Le narrateur qui se définit comme « un rameau sans bourgeon » ou « un rocher qui ne fait pas de patelles », à travers lequel on reconnait l’auteur, va, à travers un dialogue évoquer sa vie, ses combats, sa famille, ses doutes, ses erreurs et son métier d’écrivain.
Une paternité fantasmée qui se décline en partie sous forme de dialogue.
Le couvert est mis pour deux. Et le père putatif « se met à table » face à ce fils imaginaire âgé de 40 ans qui a aussi son histoire, ses échecs, ses rêves.
Erri De Luca revisite sa vie d’homme et de romancier. Entre introspection, confession et confrontation. Et c’est divinement bien écrit ! Un vrai régal. De quoi me donner envie de plonger dans l’œuvre de cet auteur italien.
Extraits
Page 14 :« […] Je parle tout seul ? J’invente ta compagnie ?
Je l’invente si fort que la réalité ne peut l’égaler. Ta présence suffit ici et ce soir pour créer ma paternité.
Les femmes que j’ai tenues dans mes bras ont voulu un enfant, mais pas de moi. Je ne leur reproche rien ni à elles ni à la vie, j’ai eu plus qu’il n’est juste, ce qui est déjà beaucoup en soi, car le juste, comme le nécessaire, manque à la plupart.
J’ai eu les montagnes touchées de la pointe des pieds et des mains, leur immensité effleurée en surface. J’ai eu les mots. Sans eux, je me cogne contre les murs. Je me cogne aussi avec eux mais les murs je les vois bien et je me prépare au choc. »
Page 98 :« J’écris en italien, langue privée de mon père, plus que langue officielle de l’Etat.
Je lui dois l’usage appris de sa voix, la scansion des syllabes différentes des syllabes locales, à prononcer sans cadence dialectale.
C’est lui qui a mis une barrière entre son italien paisible et le napolitain brûlant.
On pouvait parler les deux mais sans les mélanger.
Elles n’ont pas été deux langues, mais deux usages.
J’écris dans l’une et je me parle à moi-même dans l’autre.
Avec le dialecte, je récite un poème, je dis un proverbe, je lance un mot d’esprit.
Quand je suis en colère contre moi, je m’insulte en napolitain.
En italien, je n’ai pas envie de me disputer.
En italien : j’ajoute en, parce que je suis dedans, en locataire. C’est ma résidence, j’habite rue de la langue italienne, sans numéro. »
Page 140 :
« Lecteur, écrivain, la différence est-elle si importante pour toi ?
Oui, car je suis heureux lorsqu’une lecture m’enthousiasme, alors qu’un de mes écrits arrive tout au plus à me satisfaire. «
« Le tour de l’oie », Erri De Luca, Gallimard, 16€. Traduit de l’italien par Danièle Valin.