Le titre. C’est lui qui m’a fait prendre et ouvrir ce livre. L’auteur, je ne le connaissais pas. Il signe avec « Après la mer », son troisième livre (son premier roman est sorti en 2014)… et le premier d’inspiration autobiographique.
Alexandre Feraga a 40 ans et signe là un écrit qui nous plonge dans le lien, parfois étrange, qui peut lier un père à son fils, écartelé entre deux identités.
Et pour cause. Un été, alors qu’Alexandre a dix ans, son père qui se fait appeler Maurice, l’emmène, seul, de l’autre côté de la mer, en Algérie. Là où toute la famille de Maurice-Mohamed vit.
Le jeune garçon espère alors pouvoir enfin se rapprocher de son père, taiseux et sans tendresse. Loin de la violence de l’un de ses demi-frères, Salim.
Là-bas, Alexandre ne se fera appeler que par son autre prénom, inscrit sur ses papiers d’identité : Habib. Il découvre tout un pan de sa famille (grands-parents, oncles et tantes, cousins et cousines, etc.), celle de son père qui, en France, est à la tête d’une famille recomposée pleine de silences et de violences. Ici, pas question d’évoquer sa mère, Jocelyne, femme soumise que Maurice n’a d’ailleurs pas épousé.
Là, sans que jamais personne ne lui explique jamais rien, Alexandre-Habib va tirer sur les fils pour reconstituer le puzzle de son histoire, de celle de son père. Il va engranger des informations, avaler aussi des quantités astronomiques de douceurs et de nourriture… Se remplir de cette histoire qu’il découvre au fil des heures.
Pourquoi ses demi-frères et soeurs n’ont, eux, jamais fait ce voyage ?
Au fil des pages, on finit par comprendre que quelque chose se trame autour du jeune garçon.
Entre ses deux identités, ses deux familles, Alexandre-Habib n’a pas trop le choix. Il doit faire avec les deux. Quitte à ne jamais vraiment savoir qui il est. Une chose est sûre : il n’est plus un enfant.
Un récit initiatique très touchant, très pudique aussi sur cette difficulté, parfois, à vivre une double culture. Un beau texte aussi sur la violence qu’on ne voit pas. Qui ne fait pas de bleus mais qui blesse par le silence qu’elle fabrique.
Extraits
Page 63 : « […] Pourquoi décidait-il tout à coup de m’apprendre sa langue ? Pourquoi ici ? Dans cet appartement petit et sale qui ne nous appartenait pas. Il avait eu toutes les occasions de monde depuis ma naissance pour le faire. Avait-il besoin d’un terrain neutre pour me transmettre son savoir ? Je n’avais jamais entendu mes demis évoquer un tel voyage, personne ne parlait arabe à la maison, et malgré cela, je n’arrivais pas à me sentir tout à fait privilégié. Pourquoi un tel traitement de faveur ? Pourquoi moi, et surtout, pourquoi maintenant ? C’était un mystère. Tout dans ce voyage relevait du fantastique. »
Pages 187-188 : » Nous passions très peu de temps ensemble, essentiellement à table, comme chez nous. Je découvrais ce père menteur, s’abstenant de fumer, de boire, transformant son irascibilité en une incroyable docilité, faisant montre d’un intérêt aussi soudain qu’inédit pour la cellule familiale. Je le vis ainsi échanger quelques passes avec Fahd, taquiner Bouzid sur la proéminence de son ventre et féliciter Anouar pour le travail accompli aux côtés de Moncef et Zahir, précisant au passage que ses enfants rechignaient, eux, à débarrasser la table. Il faut dire qu’il nous avait si bien montré l’exemple à la maison, en ne levant jamais le petit doigt. »
Page 284 :« […] C’était donc ça que mon père attendait de moi, que je sacrifie une autre partie de mon enfance. Pour faire plaisir. Un petit bout de peau de rien du tout qui rendrait Zahir fier d’avoir circoncis un petit gaouri, qui apaiserait les angoisses de Zeïna, qui protégerait la tribu des représailles célestes. Les visages de mes demis et de ma mère me sont apparus, car tout était parti de là. Il aurait suffi qu’un seul d’entre eux se lève pour prendre ma défense, qu’un seul mot soit dit pour enrayer la tragédie, qu’un seul d’entre eux ait le courage de me dire la vérité pour que mon coeur d’enfant ne se nécrose pas prématurément. Au lieu de cela, ils étaient restés assis, bien calés dans les canapés, les pieds dans leurs chaussons, et avaient simplement arboré leur plus belle tête de faux-cul. »
« Après la mer « , Alexandre Feraga, Flammarion, 19€.