Nathacha Appanah était apparue sur mon blog en 2016, à l’occasion de la sortie de son roman « Tropique de la violence ». Un livre qui m’avait donné l’idée de me rendre à Mayotte, où se déroulait l’histoire. Une sacrée découverte !
Alors quand la rentrée littéraire d’automne est arrivée avec ses centaines de nouveaux romans, je n’ai pas hésité longtemps pour plonger dans « Le ciel par-dessus le toit », dernier opus en date de l’auteure née à l’île Maurice, en 1973.
Installée en France depuis 1998, elle commence alors à écrire. Et n’arrêtera plus. En 2016, « Tropique de la violence » qui vaudra une quinzaine de prix littéraires.
Avec ce nouveau roman, qui emprunte son titre aux vers de Verlaine alors emprisonné après sa violente altercation avec Rimbaud, Nathacha Appanah nous parle d’une famille qui va mal. D’une mère et de ses deux enfants.
Loup, un jeune homme fragile, introverti qui fait des rimes quand il panique et avale des kilomètres de course à pied quand il s’agit de se calmer, vient de rejoindre le quartier mineurs d’une maison d’arrêt.
A 17 ans, le jeune homme a pris la voiture de sa mère pour rejoindre sa soeur, Paloma, qu’il n’a pas vu depuis dix ans. A contre-sens sur l’autoroute, il cause un accident.
Sa soeur a quitté le domicile familial au même âge que lui. Elle lui avait promis qu’elle serait revenue le chercher… Les années ont passé. Loup en prison, Phénix, sa mère, appelle sa fille. Car Loup ne veut voir que Paloma. Et le passé remonte.
Celui de Phénix, quand elle s’appelait encore Eliette et que sa beauté en faisant une petite fille à part, surprotégée par ses parents, hissée sur un piédestal qu’elle choisira de détruire un jour. Pour se protéger, pour fuir, pour vivre sa vie. Elle fera deux enfants avec deux hommes différents. Deux enfants qu’elle a toujours aimé de loin, sans tendresse ni mots qui expliquent.
Le mal-être se transmet-il ? L’enfermement se traduit-il seulement par des murs ? Autant de questions auxquelles essaye de répondre ce roman social qu’on lit d’une traite, dans un souffle.
Extraits
Pages 26-27 : « Le jour se termine quand la femme en chemise de nuit blanche se réveille, trempée de sueur. L’image de ses deux enfants qui disparaissent dans la terre est encore nette et l’angoisse ressentie dans son rêve est là, dans son ventre, le long de son dos, sur toute la surface de son crâne. Phénix aime à croire qu’elle occupe enfin la place qui lui est réservée dans ce monde et cette place-là ne lui a pas été offerte sur un plateau, oh non : elle est forte, elle est sûre d’elle, elle n’aime pas les trouillards et les femmelettes, elle élève seule son fils, elle peut parler de mécanique avec n’importe quel péquenaud du coin, elle a une haute tolérance à la douleur, elle se méfie des gens trop polis et elle ne pleure plus. Jamais. »
Page 92 : « Tant de choses peuvent changer en dix ans, n’est-ce pas ? Il y a Paloma qui n’a jamais remis les pieds dans la maison de son enfance. Elle n’a pas oublié son frère dont elle rêve régulièrement mais le temps a gommé son angoisse et sa culpabilité de l’avoir laissé là-bas. Elle a écrit, souvent, elle a essayé d’appeler, plusieurs fois, et ensuite, c’est la lassitude qui a gagné. Elle était toujours celle qui essayait, qui tentait, qui demandait pardon, qui proposait une visite, mais combien de temps est-ce qu’on peut être comme ça, à genoux, la tête baissée, à attendre une réponse ? Paloma travaille désormais. Sa vie est claire avec des touches pastel. Elle voudrait des emportements, elle voudrait faire comme les autres, ces élans, ces cris, ces baisers, cette rage à vivre sa jeunesse mais elle ne peut pas, elle s’efforce d’être ici, un peu, assez mais pas trop, et c’est comme si elle était une stagiaire dans sa propre existence, en attendant d’y être confirmée. En attendant mieux, cette vie est parfaitement supportable. »
Page 119 : « Bien sûr que Loup se souvient de cette nuit où il a roulé et roulé encore, passé sans encombre les péages et il avait mis une radio où les gens appelaient pour passer leur musique préférée ou pour dire à lui à elle à eux combien ils étaient aimés, combien leur absence pesait, combien leur présence comblait. Loup conduisait, il avait fait le plein aussi, il connaissait ces choses-là, il avait vu sa mère faire plusieurs fois ça entrait en lui simplement ces gestes-là, il lui suffisait de regarder, c’était comme à la maison quand il fallait réparer les petites choses il savait faire sans même qu’on lui dise comment.
Et c’est vrai que la peur était apparue quand il était sorti de l’autoroute et après c’est le juge qui le dit le mieux : à contresens, carambolage, accident grave évité de justesse, refus de suivre les gendarmes, tentative de fuite à travers champs. »
« Le ciel par-dessus le toit », Nathacha Appanah, Gallimard, 14€.