Un monde où la vidéo nous manipulera, ça vous dit ? Certains diraient que nous y sommes déjà. Dans son nouveau roman Sabri Louatah nous montre à quoi nous pourrions être confrontés via un roman, un thriller politique et rural à la fois.
Je vous raconte ? L’auteur des « Sauvages » ( un roman en quatre tomes qui a donné lieu à une adaptation sur Canal +) a voulu » regarder la brèche, sans ciller, et raconter cette tragédie française de la partition et de la séparation ethnique à travers le destin d’une poignée de personnages réunis dans une petite commune de l’Allier. Pile au centre de la France et de toutes les tensions qui la traversent… »
Sabri Louatah a imaginé une France de futur soumise à la manipulation technologique mais aussi à la guerre raciale. A 36 ans, cet ancien gamin de Saint-Etienne désormais installé aux Etats-Unis, nous plonge dans l’univers des « deepfakes », ces « mirages », des fausses vidéos hyperréalistes qui se transforment en armes redoutables.
Nous sommes en 2022, le pays est désormais dirigé par une femme populiste et autoritaire. Une femme dont la réputation a été très largement écornée par un « mirage » : la vidéo d’un viol dont elle aurait été la victime par le chef d’Etat algérien. De quoi déstabiliser le pays ?
Allia veut lutter contre ce phénomène. Polytechnicienne, la jeune femme qui est installée en Amérique, revient dans son département d’origine, l’Allier (en plein centre de la France), avec dans ses cartons une application de streaming, baptisée 404, qui interdit toute édition et tout enregistrement donc toute viralisation de ces vidéos. Un antidote en quelque sorte.
Reste à la promouvoir. Pas si simple dans une société devenue accro à l’immédiateté. Et encore moins dans un pays qui se voit comme un pays homogène alors qu’il est et reste multiculturel.
Son retour en France permet à Allia de revoir Ali. Le trentenaire, qui a abandonné leur formation commune en prépa, est devenu cuisinier à domicile. Amoureux d’Allia depuis le début, il entre dans son cercle intime constitué de son mari, Mehdi, vertueux maire de la petite commune rurale ; son père, Rachid, homme sage et inquiet et enfin son financeur, Kader. Un homme sans beaucoup de scrupules mais aux poches pleines.
Au final, cela nous donne un roman dystopique (la dystopie est un récit de fiction qui décrit un monde utopique sombre) qui nous parle d’une France raciste et obsédée par l’image. Quelle qu’elle soit.
Extraits
Pages 101-102 : » – Normalement, ce que l’oeil humain peut voir, une caméra doit pouvoir le voir aussi, eh bien avec mon équipe on a réussi à rendre un flux vidéo inaccessible à tout autre appareil que notre oeil à nous. Pour l’instant c’est une version bêta, hein, sans aucune autre fonctionnalité que ce flux impossible à arrêter, à rembobiner ou à accélérer, impossible à enregistrer et surtout, donc, impossible à trafiquer et à contrefaire… Vous voyez où je veux en venir. La vérité brute, en tout cas le retour d’une forme de réalité objective. »
Page 163 : « Depuis le QG de 404, Ali est bien placé pour sentir la tension qui monte autour du premier anniversaire de l’élection la plus stupide de l’histoire de la République. Sur la plateforme, on peut entendre ce que les gens en disent quand ils savent que leurs paroles s’envoleront pour toujours, qu’on ne leur tiendra pas rigueur d’une saillie raciste ou misogyne comme sur les réseaux sociaux où tout finit toujours par remonter à la surface. Jusqu’ici 404 n’intéressait que les enfants, maintenant les adultes s’y sont mis, migrant depuis leurs Facebook Live où ils se sentaient surveillés, épiés, policés, même quand leur nombre de vues par direct n’atteignait jamais deux chiffres. «
Page 228 :« Mehdi rappelle alors le concept de 404, il en parle comme d’un havre de paix et d’oubli. Internet n’oublie rien, sauf sur 404. Après une rapide démonstration ludique avec plusieurs téléphones incapables d’effectuer la moindre capture d’écran, les digues sautent et le frein se change en propulseur. Etre filmé sans pouvoir être enregistré permet de ne pas se censurer tout en s’adressant à une audience plus large que l’enceinte du jardiner où grillent les merguez. De combien plus large, nul ne peut le dire, quoique l’imagination des débatteurs tendant vers l’optimisme, ils se persuadent toujours que des milliers de spectateurs les écoutent exposer leurs précieuses doléances. »
« 404 », Sabri Louatah, Flammarion, 21€.