Un récit, fort. Eclairant. Et sensible. Virginie Linhart a ce talent de puiser dans son récit de vie pour nous faire partager ce qu’ont connu les enfants des soixante-huitards. Devenus adultes, ils essayent de vivre entre leur héritage familial et ce qu’ils ont décidé d’en faire.
Documentariste et écrivaine, Virginie Linhart a utilisé cette matière pour raconter. Je l’avais découverte via son récit « Le jour où mon père s’est tu », dans lequel elle évoquait le parcours de son père, Robert Linhart, philosophe et théoricien de Mai-68 qui fut le fondateur de l’Union des jeunesses communistes marxistes-léninistes. En 1978, celui qui rejoindra un temps les chaînes d’une usine Citroën écrira « L’établi ».
En février 1981, il fera une tentative de suicide en avalant une forte dose de médicaments. Sauvé, il entre dans une phase de mutisme familial et politique presque complet qui se prolonge durant de longues années tout en restant maître de conférences en sociologie à l’université Paris-VIII-Saint-Denis.
De l’histoire de sa mère, Virginie Linhart a fait un récit sans rancoeur, sans esprit de vengeance. Il ne s’agit pas de régler ses comptes avec une mère divorcée, volage et brillante qui a multiplié les conquêtes sans trop de soucier de ses enfants, trop souvent considérés comme des adultes.
De vacances idylliques dans la maison achetée par sa mère dans une île de Méditerranée à ses difficultés à élever seule sa fille, Lune, née il y a vingt ans, Virginie Linhart utilise pour la première fois le » je « , sincère et sensible.
On évoque son récit sur dans le 7-9 de France-Inter ici :
Au fil des pages, et du récit, Virginie Linhart propose un voyage dans le temps et dans l’intime. Sans tabou. Sans cacher quoi que ce soit.
Une « tentative de réponse » à ce qu’elle a vécu. « On entendait tout, on assistait à tout « , explique celle qui a été fascinée par sa mère, femme libre et atypique. Mais si peu encline à être mère complètement tout en formant un trio unique avec sa fille et son fils.
« J’ai été élevée dans un film de Varda », dit-elle souvent pour fixer le décor d’une enfance et d’une adolescence à part.
Son entrée dans l’âge adulte, mère célibataire, sera autrement moins rose. « Quand j’ai eu Lune, je me suis retrouvée dans une nouvelle de Maupassant. » Elle n’a pas avorté. Contre l’avis de sa mère.
Et l’effet maternel, au fait, c’est quoi ? C’est lorsque le phénotype d’une mère (l’ensemble des traits observables d’un organisme) affecte directement le phénotype de ses descendants.
Entre liberté et désarroi, voici un récit autobiographique à découvrir absolument.
Extraits
Page 39 :« La grande contradiction de ma vie, c’est mon rapport à la politique. A Sciences Po, où j’étudie je réussis très bien. Pour moi les études, c’est comme le silence des survivants analysé par les historiens de ;a Seconde Guerre mondiale, c’est à la fois structurant et rassurant, c’est la seule chose qui me fait du bien. Mais il faut que je fasse attention parce que je suis quand même sur une pente glissante. Etre à Sciences Po en clamant son indifférence absolue à la politique, c’est un peu étrange. C’est pourtant mon leitmotiv : la politique ne m’intéresse pas, c’est le domaine de mes parents. Quand on me pose une question politique, je ne sais jamais qui répondre, je n’ai ni avis ni opinion. Quand j’entends parler politique, le vide se fait dans on cerveau, un peu comme si toutes mes lectures, toutes mes références s’évaporaient. »
Page 92 :« Après je prends le large. J’ai compris le danger qu’il y a à tenter de rester coûte que coûte auprès de ma mère, je m’éloigne franchement et d’autant plus facilement qu’elle ne me retient pas trop occupée à sa nouvelle maternité. Je ne raconte à personne ce que j’ai traversé, les rives où j’ai failli échouer, l’extrême violence de ces derniers mois. Ce sentiment d’avoir risqué sa peau, d’avoir côtoyé de si près la folie, pour moi mais aussi pour l’enfant qui serait né pour de si mauvaises raisons. je ne reverrai ni ne reparlerai jamais de ma vie à Marc. J’efface le souvenir de la grossesse, je cache les séquelles physiques d’un avortement effectué au dernier moment, les pertes de sang qui ressemblent à des hémorragies, les dérèglements hormonaux, les seins devenus énormes. Je décide de vivre la vie des jeunes filles de mon âge. »
Page 202 :« Je trouve très rassurante l’idée que ma mère ait été une victime : à une victime on peut pardonner beaucoup de choses. Ca rend le cours des événements plus lisible. Je pense que cette longue quête n’aura pas été inutile puisqu’elle m’aura enfin permis de la comprendre. »
« L’effet maternel », Virginie Linhart, Flammarion, 19€.