Le monde de l’entreprise n’est pas si souvent au coeur du roman, même contemporain. Ou surtout contemporain, serais-je tentée de dire. A quelques exceptions près parmi mes dernières lectures. Mais plus qu’un sujet, l’entreprise y sert de décor.
Ce n’est pas le cas avec « Cora dans la spirale ». Cette fois, l’entreprise, en l’occurrence, une grosse compagnie d’assurance, est l’un des des sujets de l’épais roman de Vincent Message.
L’autre sujet, c’est Cora, qui donne son titre au troisième roman de ce trentenaire inspiré, maître de conférences en littérature et création littéraire à Paris-VIII.
Cora est une jeune femme à qui tout pourrait sourire. Agée d’une trentaine d’années, elle travaille dans une compagnie d’assurances. Un groupe amené à se transformer pour continuer (il vient d’être racheté par plus grand que lui).
Surtout, Cora reprend le travail avec un congé maternité. Pas si simple pour celle qui se rêvait photographe et qui n’a pas pu ( pas su) donner vie à son rêve. Pas si simple pour une jeune femme qui a besoin de sécurité.
Alors, au service marketing, elle tente de survivre, de garder la tête hors de l’eau. Vite débordée cependant. Vite dépassée par ce qui se trame. Une rencontre avec l’une des consultantes, Delphine, va lui ouvrir les yeux. Sur la vie de l’entreprise. Sur sa vie intime aussi. Une relation cachée qui finira va faire éclater les trop grandes différences que ces deux femmes avaient cru oublier sous le drap de leurs ébats.
Au fil des pages, Vincent Message sait, au mieux, décrire une ambiance sur un open-space, dans le bureau d’un n+1, dans les couloirs où l’on se croise et où on s’épie aussi.
Il a collecté de la « matière » pendant dix ans, interrogeant patrons, salariés sur le monde de l’entreprise. Comme ça. Pour savoir, pour comprendre. Pas pour juger.
Le lecteur suit ainsi l’évolution des deux sujets du roman, Cora d’un côté et Borélia, de l’autre. L’une comme l’autre vont devoir lutter. Et plonger. Cora va, chapitre après chapitre, donner de la force à son personnage. En s’ouvrant. En allant à la rencontre des autres (des migrants en l’occurrence) et donc d’elle-même. Mais le management qu’elle supporte la lamine. Physiquement, moralement.
Impossible pourtant de « divulgâcher » l’énorme rebondissement de ce roman, acmé d’une détresse qui n’a pas été entendue. Cora, elle, voulait seulement pouvoir sortir de la spirale…
Le narrateur, dont on découvre l’identité à la fin du livre (non, je ne dirai rien ;-)), propose sur plus de 400 pages l’équivalent d’une enquête, fouillée jusque dans l’intime. Il s’est notamment appuyé sur les carnets, une trentaine, noircis par Cora au fil des semaines et des mois.
Extraits
Page 119 :« […] Il y a les regards que rien n’arrête. Bien que les débutants et assistants côté couloir y soient plus exposés, un coup d’oeil par-dessus l’épaule suffit pour voir ce qui se passe côté vitres. Tout le monde s’empresse d’apprendre le raccourci-clavier qui permet de basculer de sa messagerie privée ou des diversions d’internet au document sur lequel on travaille. Agathe Kerlann a une manière de ralentir le pas pour saluer chacun qui lui donne l’air de faire sa ronde. Mais il n’y a pas qu’elle et pas que ça : on voit qui arrive quand et qui part quand, on pourrait s’amuser à noter les temps de pause. Il se dessine, en fait, une hiérarchie des regards aussi peu étonnante que la hiérarchie des bureaux : les supérieurs ont l’oeil sur leurs subordonnés, les subordonnés se contrôlent mutuellement. «
Page 302 :« Au 27e étage de la tour Galaxie s’étend une région sans joie. Le printemps revient à tâtons mais le soleil ne s’y lève plus. Elle n’est plus là, Delphine, pour que Cora puisse contempler une beauté de l’âge d’or, pour éprouver à deux le plaisir de phosphorer sur des problèmes complexes et faire se bousculer des heures de la journée vers le point d’orgue de leurs orgasmes. »
Pages 403-404 : » […] Et quant à lui, à Pierre…il aurait pu se rendre compte à quel point Cora était épuisée, annuler sa journée lyonnaise et déposer lui-même Manon. Même sans être exigeant, sans prétendre refaire l’Histoire… Il aurait suffi de presque rien : que Cora trouve une place à l’ombre pour se garer ; ou que la pluie qui a libéré le dimanche l’atmosphère de son électricité arrive dès le vendredi… Il existe des mondes parallèles, pense Pierre, où certaines de ces conditions sont devenues des réalités, il suffirait de savoir comment s’y transporter à deux pour se retrouver de nouveau à trois. «
« Cora dans la spirale », Vincent Message, Seuil, 21€.