Je vous emmène en voyage. Loin. En Afrique et plus précisément au Nigéria. Je vous emmène également au pays des Chis, ces anges-gardiens qui, dans la cosmogonie Igbo ( du nom de la principale ethnie au Nigéria) protègent la population. Tout au long de la vie d’hommes et de femmes. Vous me suivez ? Pour nous guider, nous allons nous mettre dans les pas de Chigozie Obioma, écrivain nigérian. Un homme au parcours pour le moins atypique.
Né dans une famille de douze enfants, Chigozie Obioma a fait des études supérieures à la Cyprus International University à Chypre, où il obtint une bourse et un poste d’enseignant.
En 2015, il se fait une place parmi les écrivains en publiant premier roman intitulé « Les Pêcheurs » (« The Fishermen »), finaliste du très prestigieux Prix Booker. Une fable familiale tragique dévorée après avoir lu ce nouveau roman.
Il rejoindra ensuite les Etats-Unis et l’Université du Michigan pour y suivre des cours d’écriture créative.
Chigozie Obioma enseigne aujourd’hui la littérature et l’écriture créative à l’Université du Nebraska, à Lincoln. Avec ce nouveau roman, « La prière des oiseaux », (« An Orchestra of Minorities »), il a été finaliste du Prix Booker 2019.
L’histoire ? Elle nous tient en haleine sur plus de 500 pages. Grâce à son chi, le narrateur, on suit l’histoire de Chinonso, un éleveur de volailles du Nigeria. Nous sommes au début des années 2000.
Une nuit, il croise une jeune femme sur le point de se précipiter du haut d’un pont. Terrifié, il tente d’empêcher le drame et sauve la malheureuse Ndali. Cet épisode va les lier indéfectiblement. Mais leur union est impossible : Ndali vient d’une riche famille et fréquente l’université, alors que Chinonso n’est qu’un modeste fermier… Que faire ? Rester dans sa situation ? Chercher à s’en extraire pour devenir quelqu’un d’autre, quelqu’un que sa famille accepterait ?
Chinonso, va retrouver un vieux camarade d’école qui, sous une couverture bidonnée d’étudiant chypriote, va faire miroiter une autre vie à notre éleveur de volailles. Une escroquerie si rondement menée que le jeune homme n’y verra que du feu… Il en reviendra après plusieurs années et de grosses mésaventures ( il passera plusieurs années en prison, accusé d’un meurtre qu’il n’a pas commis, par une Allemande qui, au départ, l’avait pris sous son aile), ruiné, meurtri, humilié, amer… mais toujours amoureux de Ndali qui, de son côté, a ouvert une pharmacie et fondé une famille.
D’Afrique en Méditeranée, nous voilà embarqués dans l’Odyssée d’Homère… à la mode nigériane. Nous suivons Ulysse, toujours désolés du triste chemin que prend sa vie, malgré lui. Malgré nous. Même son chi, son ange-gardien, n’a pas la main sur son destin…
Un roman dense, un conte africain, où le monde visible côtoie celui des esprits, bons ou maléfiques. Chinonso pourra-t-il être sauvé d’errements sans fin dans les abîmes ?
Un livre dense, foisonnant, fort dans lequel on se laisse finalement facilement entraîner.
Extraits
Page 51 : « O Agbatta-Alumalu, les pères immémoriaux disent que sans lumière on ne peut engendrer d’embres. Cette femme avait surgi comme une étrange lumière soudaine qui de partout faisait éclore des ombres. Il tomba amoureux d’elle. Peu à peu, ce fut comme si, d’un seul coup de fronde, elle avait faire taire son chagrin, ce chien brutal qui aboyait sans relâche dans la nuit précoce de sa vie. Si fort était leur lien qu’il en fut guéri. Même ma relation avec lui s’améliora, car un homme ne peut pleinement communier avec son chi que lorsqu’il est en paix. Lorsque je parlais, il entendait ma voix, et dans sa volonté les ombres de la mienne commençaient à se frayer un chemin. »
Page 161 : « […] Ce qu’il pouvait accomplir était le fruit d’une lente et laborieuse émergence, et ses rêves étaient maigres, nonchalants et lointains. Voilà pourquoi son oncle avait dû lui insuffler le désir d’une femme, et Ndali, celui de reprendre ses études. Et il commençait à voir dans sa mollesse et sa passivité une faiblesse. »
Page 373 : « […] Mon hôte vécut dans cet état pendant plus de quatre ans. Chroniquer ces années, s’appesantir sur la monotonie de cette existence, la douleur d’une vie morte, appelle une comparaison avec la douleur de l’esclave, que j’avais connue chez mon hôte Yagazie. Car le prisonnier est un esclave, un captif de l’Etat. En bien des cycles j’avais connu les ténèbres de coeurs juvéniles, pataugé dans la boue des ambitions, scruté le tombeau de leur échec. Mais je n’avais rien vu de tel. »
« La prière des oiseaux », Chigozie Obioma, Buchet Chastel, 25€