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Rentrée littéraire 

LA FILLE DU PERE OK

Un premier roman. L’un des soixante-cinq que nous offre cette rentrée littéraire post-Covid. Encore une fois, j’ai entamé une danse de la joie ! Avec « La Fille du père »Laure Couraige signe un texte fort sur la relation père-fille écrasante, étouffante, aliénante. Bref, toxique. Pas si courant.

Alors pour s’en libérer, la narratrice a pris la plume. Elle la trempe dans l’acide, l’incruste dans les plaies pour mieux dénouer les liens qui l’attachent à son père. Ce sont des intellectuels. Pas de tableau brossé de la misère sociale ici. La relation éclate, argument contre argument. Avec violence. Si la narratrice s’est longtemps réfugiée dans le silence, elle a décidé enfin de s’en affranchir. De dire. Et d’écrire.

Trentenaire, Laure Gouraige est diplômée de philosophie.

 

« J’avais donc dit, un jour mon père et moi nous nous fâcherons », écrit-elle. Elle vient d’avoir trente ans. Le moment où jamais pour dire ce qu’elle a sur le coeur à son géniteur, son guide pendant longtemps, celui qui la freine et l’empêche désormais.

Au fil des pages, le huis clos se dessine. Parviendra-t-elle à se libérer de ses liens si serrés depuis des décennies ? C’est direct, c’est cruel et violent. Drôle aussi. Et tellement libérateur. Elle règle ses comptes, elle témoigne aussi de son attachement évident. La narratrice veut du passé faire table rase. En finir enfin avec cette quête de la perfection imposée par son père qui lui empoisonne la vie.

L’écriture, fine et incisive, l’aide à trancher dans le vif. Pour avancer. A son rythme. Et à celui de ses envies. Salutaire. Un premier roman qui, comme d’autres dans cette rentrée littéraire, se range dans la case des « pères singuliers ».

 Extraits

 Page 17 : « Pour toi, il n’existait de filiation que du beau. L’horreur, le laid, c’était ma production. C’était de que moi seule j’avais su retirer de mon rapport au monde. Donc j’avais eu trente ans il y a plusieurs mois et tu n’as pas empêché cette fatalité. Tu as laissé ce jour venir comme un jour ordinaire, comme s’il ne disait rien de ce que j’étais. Et s’il ne disait rien de ce que j’étais, il devait dire quelque chose de ce que toi tu es. Mon âge ne s’éprouve qu’en rapport avec le tien. Mon questionnement de ce que je suis à trente ans ne se construit que dans un lien étroit avec ton existence. » 

Page 31 : « […] Je ne désire pas seulement écrire, je désire écrire. Vois-tu l’absolu de cette formulation ? L’absolu, c’est cette intransigeance ou alors ma manière de faire qui la veut telle. La philosophie, la mathématique ou les autres disciplines scientifiques mais pas vraiment scientifiques, celles qui ne nous transforment pas en concombres de mer, je ne les renie pas. Seulement elles ont occupé ma vie suffisamment, elles ont été ma vie entière pendant des années, pendant ces années où l’écriture fut secondaire, une activité cachée, dérobée au peu d’heures de liberté. J’ordonne que cette organisation soit inversée. L’écriture doit se faire entière. Le reste peut attendre. Tout peut attendre. Te rends-tu seulement compte du temps perdu ? Du temps où déjà l’urgence de dire quelque chose était latente, cependant ignorée. »

Page 120 : […] Les choses que tu faisais pour moi étaient nombreuses, cependant elles impliquaient de ma part une soumission exemplaire. J’avais le droit d’apprendre de toi, si je me rendais à ta disposition. A plusieurs reprises j’avais manqué tes appels, un jour tu as avoué, sache que lorsque tu ne me réponds pas, c’est ta perte à toi. Cela ne m’apporte rien, à moi, de partager mes connaissances. Je m’agaçais de ta malhonnêteté, tu prétendais que je préférais aller au bal plutôt qu’apprendre de toi. Je ne sortais pas danser, ni même à la boulangerie, au mieux j’allais aux toilettes. Alors pourquoi ne prends-tu pas ton téléphone aux toilettes, as-tu demandé. De nouveau, j’ai ignoré ta question, il était préférable de s’en moquer tant elle suscitait de colère et de stupéfaction. Ta folie me semblait sans limite, et je ne réussissais pas à formuler une réponse assez folle pour te convaincre de la normalité de se rendre aux toilettes en chantonnant. » 

« La Fille du père « , Laure Gouraige, POL, 17€. 

 

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