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Rentrée littéraire

MAUVIGNIER OKOK

Jour de fête ! Laurent Mauvignier est de retour et quand on sait la place qu’il occupe dans mon panthéon littéraire, on peut bien pavoiser, croyez-moi ;-)

Oui, l’oeuvre de Laurent Mauvignier ponctue, livre avec livre, les posts de ce blog depuis 2011. Je suis cet auteur, né à Tours et qui a grandi dans le sud-Touraine, depuis son premier roman. Je l’ai interviewé aussi, en 2016. Vous pouvez retrouver tout cela ici mais aussi .

L’auteur, désormais installé à Toulouse, est donc de retour avec un gros roman de 640 pages. Un roman noir. Très noir. Une première pour l’auteur de « Apprendre à finir » (Prix du Livre Inter) et de nombreuses pièces de théâtre.

L’histoire ? Elle nous mène sur la commune rurale de La Bassée. Une commune qui ne figure sur aucune carte. Un lieu fictif qui pourrait cependant faire penser à Descartes, où il a grandi. Il ne reste presque plus rien à La Bassée : un bourg et quelques hameaux, dont celui qu’occupent Bergogne, sa femme Marion et leur fille Ida, ainsi qu’une voisine, Christine, une artiste installée ici depuis des années.

 

Là, dans ce hameau des Trois filles seules, vivent Christine de Haas et son chien. L’artiste a quitté la ville et son mari, sa vie d’avant pour s’installer à l’écart. Mais tout à côté de la famille de Patrice Bergogne qui a reprise la ferme de son père. Patrice, paysan un peu bourru et mal à l’aise avec son corps a épousé Marion. Ils élèvent Ida, leur fille. Enfin, celle de Marion, découvrirons-nous au fil de cet épais roman. Une vie de couple où les mots et les gestes ont désormais compliqués. Car trop de secrets demeurent.

Marion travaille dans une imprimerie, dans la petite ville la plus proche. Le soir de ses quarante ans, la vie de tous ces personnages bascule. Complètement. Irrémédiablement. Définitivement. L’arrivée de Denis et de ses deux frères Christophe et « Bègue » alors que se prépare la fête d’anniversaire va replonger Marion dans son passé. Trois inconnus pour PatriceIda et Christine. Tout comme les jeunes années de Marion. Personne ne savait. Et personne n’en sortira indemne.

Pas question de trop en dire et prendre alors le risque de « divulgâcher » les rebondissements de ce roman psychologiquement lourd, aux longues phrases pour approcher au plus près des personnages. La marque de fabrique de Laurent Mauvignier.

Tout y est. La tension qui s’installe au fil des minutes. Elle ira crescendo tout au long de la soirée. On la sent, on la voit, on la lit. Un thriller à la campagne, affûté. Terriblement. Et le portrait, toujours juste, des classes modestes. Dont l’auteur est lui-même issu.

 Extraits

Page 190 : « Parfois elle voit bien comment sa mère ne répond pas à Patrice, comment il semble parler tout seul et attendre des réponses qui ne viennent pas, et, souvent, elle voit comment lui regarde fixement sa femme. Si elle pouvait lire dans ses yeux, il se peut qu’elle lirait de la colère, de la haine, du ressentiment, de la tristesse, du remords, de la déception, de la solitude, de l’incompréhension pareille à celle qu’elle éprouve lorsqu’elle le voit fixant sa mère qui ne répond pas, ne l’entend sans doute même pas, et combien de fois alors c’est Ida qui doit dire, 

Maman, papa te parle.

car elle sait qu’elle, sa mère va l’entendre, 

Oui, pardon ma chérie.

et qu’ensuite Marion se tournera vers Patrice. 

Ida sait que ce soir ce ne sera pas comme ça. Il n’y aura pas ces moments de flottement pendant lesquels ils restent tous les trois à table, évacuant tout ce qui les concerne pour parler du boulot et des faits divers qu’on a entendus à la télé, et puis de rien, surtout de rien. »

Pages 372-373 :« […] Mais cette fixité, elle ne peut toujours pas la supporter, comme si les yeux de Patrice étaient trop inquisiteurs pour qu’elle assume ce face-à-face – comme si elle était incapable de s’attendre à y trouver autre chose qu’une confrontation ou même, déjà, une condamnation, une sorte d’accusation qu’elle redoute de ne pas pouvoir supporter à ce moment-là, s’imaginant ne pas en être capable alors qu’elle voudrait trouver ses yeux, oui, de tout coeur, elle voudrait trouver en lui une réponse à son angoisse, de la compréhension, de l’amour, elle est sûre qu’il comprendrait, qu’il verrait qu’elle veut s’excuser parce que c’était déjà comme si tout le monde était d’accord pour dire que ce qui se passe ce soir est en partie de sa faute et, alors qu’elle voudrait s’excuser à cause de cette soirée, maintenant elle voudrait que Patrice l’excuse pour tout ce qu’elle lui fait subir depuis des années et dont elle sait qu’il encaisse presque sans rien dire, s’énervant parfois parce qu’il  a trop bu ou parce que sa patience est à bout ; elle sait, aussi clairement qu’elle sait n’avoir jamais voulu le savoir tout à fait, que c’est à cause de ce qu’elle ne lui donne pas, et pas seulement le sexe, mais aussi tout ce qu’elle lui refuse de tendresse et de temps. »

Pages 531-532 : » […] Elle a encore ce vague espoir qu’on ne l’entendra pas, que les filles ne comprendront pas qu’elle n’est pas la fille sensass et cool à qui personne ne résiste, qu’elle n’est pas celle qu’elles croient connaître. Et maintenant elle leur en vaut presque de la naïveté avec laquelle elles l’avaient crue si forte, si puissante, elle leur en veut tant soudain qu’elle voudrait se retourner et les agresser toutes les deux, oui, cette pulsion, cette envie qu’elle doit réprimer de leur foncer dessus pour tout dégommer, s’en prendre à elles deux pour leur gueuler que depuis que’elle vit ici, évidemment, rien ni personne n’a pu avoir la moindre prise sur sa vie ni sur elle, ils sont tellement gentils les gens d’ici, vous le saviez pas ? »

« Histoires de la nuit », Laurent Mauvignier, Les Editions de Minuit.

 

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