Nous sommes dans les années 80. Cléo a treize ans, fréquente le collège de sa banlieue parisienne et s’éclate chaque semaine à la MJC pour progresser, toujours, en danse modern jazz. Jusqu’au jour où… Où Cathy la remarque, où elle lui parle, s’intéresse à elle, lui offre des cadeaux, l’emmène à Paris et lui vante la bourse Galatée qui, si elle défend sa candidature, lui ouvrira les portes des studios à New-York.
Les étoiles s’allument dans la tête de l’adolescente. Jusqu’à ce fameux mystérieux déjeuner avec des hommes. Où elle ne jouera pas suffisamment le jeu. Puis jusqu’à devenir elle-même celle qui vante la bourse Galatée auprès de ses camarades de collège. Celle qui les sélectionne. Parmi elles, Betty.
Un engrenage délétère. Un piège sexuel et monnayable s’ouvre et se referme sur elle. Une culpabilité qui l’empoisonne. Jusqu’au jour où la parole se libère. Enfin. Après qu’un fichier de photos est retrouvé sur le net et que des policiers lancent un appel à témoins pour identifier les victimes de la fameuse fondation…
Cléo, devenue danseuse professionnelle, doit affronter son passé. Sa culpabilité. Et sa honte, envahissante.
Lola Lafon signe là un roman fort, dense. Qui remue. J’avais découvert cette autrice avec un précédent roman, consacré à Nadia Comaneci, « La petite communiste qui ne souriait jamais ». Un roman qui avait obtenu de nombreux prix.
Chanteuse, femme de lettres et compositrice française, d’origine franco-russo-polonaise, Lola Lafon a été élevée à Sofia, Bucarest et Paris. Elle s’est d’abord consacrée à la danse avant de se tourner vers l’écriture.
Elle signe avec « Chavirer » son sixième roman.
Dans l’émission La Grande Librairie, Lola Lafon parle de « Chavirer »
Extraits
Page 35 :« Tant de nouveautés dans la vie de Cléo. Des odeurs : celles qui imprégnaient la voiture de Cathy, ces héliotropes sucrés de son parfum, Opium, mêlés à l’odeur rousse du cuir. Des matières : la soie carmin d’un foulard que Cathy avait détaché de son cou pour le lui tendre, un jour que Cléo avait publié son écharpe.
Sa jupe en jean, le foulard et le pull en mohair turquoise avaient propulsé Cléo au coeur des attentions de sa classe en une matinée. Effacée, l’ennuyeuse Cléo sans poitrine ni eye-liner qui ne s’intéressait à rien d’autre qu’à sa danse, qui ne fumait ni ne buvait, ne s’était jamais fait gauler à Auchan, quo n’avait aucun garçon en ligne de mire. »
Page 195 :« Lara se heurtait à une Cléo révélée. Une Cléo en forme de carte à jouer pour adultes, simple valet qui s’était rêvé reine Face, victime et pile, coupable.
Combien de complices avaient permis que se déroule le jeu de massacre ? Le prof de danse de la MJC, qui avait vu à plusieurs reprises cette femme venir chercher Cléo sans jamais demander qui était était, les médecins appelés à son chevet dont aucun n’avait posé ne fût-ce qu’une question qui lui eût permis de parler, les parents de Cléo, jamais surpris des cadeaux qu’elle rapportait à la maison, la serveuse qui officiait lors de ces « déjeuners ». Qui d’autre ? »
Pages 335-336 :« […] Le système Galatée ne disait pas autre chose : que la meilleure gagne ! L’affaire Galatée nous tend le miroir de nos malaises : ce n’est pas à ce à quoi on nous oblige qui nous détruit, mais ce à quoi nous consentons qui nous ébrèche ; ces hontes minuscules, de consentir journellement à renforcer ce qu’on dénonce : j’achète des objets dont je n’ignore pas qu’ils sont fabriqués par des esclaves, je me rends en vacances dans une dictature aux belles plages ensoleillées. Je vais à l’anniversaire d’un harceleur qui me produit. Nous sommes traversés de ces hontes, un tourbillon qui, peu à peu, nous creuse et nous vide. N’avoir rien dit. Rien fait. Avoir dit oui parce qu’on ne savait pas dire non. »
« Chavirer », Lola Lafon, Actes Sud, 20,50€.