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Sélection Roblès 2021

AIGLES ENDORMIS

Vingt ans après son exil, Arben dit Beni, revient dans son pays natal, l’Albanie, avec pour projet de venger Rina, sa femme assassinée. Nous sommes en 2017.

Voilà pour donner tout de suite le décor de ce roman noir paru en janvier 2020 et qui fait partie des six premiers romans retenus pour la sélection du prix Roblès 2021.

Auteur et nouvelliste, Danü Danquigny est plutôt porté sur le roman noir et l’anticipation. Originaire de Rennes, il est né à Montréal. Après des études de droit et de psychocriminologie, il a intégré la Police des frontières. Avant de devenir détective privé dans le Nord de la France puis de travailler dans le tourisme, à Paris. Il est, depuis la rentrée dernière, enseignant dans un collège rennais. « Les Aigles endormis » est son premier roman.

Armé de ses souvenirs et d’un vieux Tokarev, Arben plonge dans ses souvenirs alors qu’il vient de remettre les pieds en Albanie, vingt ans après avoir quitté ce pays, ancien régime communiste, qui s’est métamorphosé en démocratie libérale à tendance oligarchique.
Au fil des pages et des flash-backs, il retrouve un à un ses anciens amis : MitriLoniNesti et Alban.  Est-ce à cause d’eux qu’il a sombré ? Est-ce eux qui sont responsables de la mort de sa femme Rina, infirmière, qui rêvait de quitter le pays pour élever ses deux enfants en toute sécurité ? Il en est persuadé. Mais est-ce vraiment la vérité ?

Comment un jeune homme idéaliste et cultivé se transforme-t-il en malfrat ? Est-ce à cause de la chute du régime ou de lui-même ?

Au final, le destin de notre héros est aussi tragique que celui de son pays. Qui a sombré dans un libéralisme sans vergogne, dans la corruption la plus veule. Jusqu’au trafic d’êtres humains… Beni s’enferme dans les pièges tendus. Pour préserver les siens. Et va jusqu’à voler ses « amis » pour faciliter son projet de départ. Jusqu’au drame intime.

C’est efficace. même si la fin me laisse perplexe. Et ça donne envie de se pencher un peu plus sur l’histoire contemporaine de ce pays. La RTBF en a fait quelque chose de plutôt bien vu. Je le

partage ici. 

CARTE ALBANIE

Extraits

Page 28 :« […] En l’espace de quelques semaines, j’avais vu mes parents disparaître et mes projets d’avenir s’effondrer. Je m’étais imaginé intellectuel, peut-être voyageur, je me retrouvais ouvrier et orphelin. Et maintenant, ma famille bien intentionnée allait me marier à une inconnue. Parce que ça se faisait, que c’était dans l’ordre des choses, que ça avait toujours fonctionné de cette manière. Je contins l’envie de briser ma chope de bière sur le viage rond de mon oncle, en hurlant, de lui bourrer le corps de coups de poing, d’écraser du talon son conformisme comme on le fait d’un vulgaire mégot de clope. »

Page 81 : « Je crève de chaud dans mon smoking froissé et maculé de poussière. J’aurais pu me préparer mieux. Prévoir des vêtements plus pratiques, peut-être un sac à dos, de meilleures chaussures. Mais j’ai quitté le pays sans rien d’autre que mes enfants et un paquet de pognon, et je reviens les mains vides, avec juste ce que je porte sur moi. Tout le reste, tout ce qui compte, se trouve ici. J’ai couru après des chimères toute ma jeunesse et passé ma vie d’homme à corriger le tir. Rina avait raison. Bien sûr. Si le destin ne m’avait pas forcé la main, je ne serais jamais parti. Mes gosses auraient grandi dans ce foutoir. Fille et fils de criminel, on peut rêver d’une meilleure entrée dans la vie. »

Pages 127-128 :« Il y eut d’autres voyages, d’autres Flora, des tas d’autres gamines envoyées se flétrir les rêves sur le macadam de L’Ouest. Les filles s’avéraient être le produit idéal. Les hommes, dès qu’ils le pouvaient, tentaient de gagner leur croûte de l’autre côté des frontières. Le pays commençait à manquer d’époux, et les jeunes femmes couraient le risque de devenir vieilles filles, surtout dans les campagnes. C’est là qu’on recrutait le plus. La fin d’une époque, l’ouverture aux modes extérieures, les vieux flippaient à l’idée que les moeurs de leurs filles suivent celles des Occidentaux décadents. Pour éviter la honte de les voir devenir des traînées, il fallait absolument les marier. Alors apparurent des courtisans professionnels. Ils séduisaient filles et parents en quelques semaines et, au prétexte de vacances, d’un voyage de noces ou d’une visite de leur futur foyer, elles partaient. Une fois là-bas, elles rapportaient chaque jour, frais déduits, plus d’une mois de salaire moyen d’ici à des types du genre d’Alban. Ou du mien. Je ne savais pas exactement combien il tirait du trafic, mais vu les enveloppes que je récupérais, ça chiffrait Pas de doute, on commençait à le comprendre, le système capitaliste. On disposait en quantité abondante d’un produit qui payait pour se faire exploiter. Le rêve. »

« Les aigles endormis », Danü Danquigny, Série noire, Gallimard, 18€.

 

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