Rentrée littéraire
Un premier roman qui nous emmène en Afrique ? Voilà au moins deux vraies bonnes raisons d’y plonger. J’ai un faible pour les premiers romans et j’ai arpenté le continent africain des années durant, alors…
Avec Le duel des grands-mères, nous partons au Mali. A Bamako d’abord, puis au village. Nous suivons Hamet, qui pré-adolescent, donne du fil à retordre à ses parents et plus précisément à sa mère, puisque son père travaille en France.
Hamet est partagé, pour ne pas dire déchiré, entre deux visions. Sa mère, qui ne parle pas français, souhaite qu’il suive un enseignement à la medersa, et reçoive ainsi un enseignement musulman. Son père, lui, ne croit qu’en l’école française laïque. C’est là que Hamet étudie. Le jeune garçon, balloté entre trois langues (français, bambara et soninké) et autant de cultures, peine à trouver sa place. Les enfants de son âge pensent qu’il se sent supérieur.
Chahuteur, turbulent, le voilà emmené au village, chez l’une de ses grands-mères, Mama Hata. Il y découvre d’autres moeurs, d’autres traditions. Des secrets de famille… et finalement son autre grand-mère, Mama Cissé.
Autant de souvenirs que Diadié Dembélé (alias Tambamera) a puisé dans son enfance malienne. En 2008, il a accompagné sa mère au village où il est né, à Kodié, sur la frontière avec la Mauritanie. Diplômé du Master de création littéraire de Paris VIII, Diadié Dembélé travaille en tant qu’interprète médico-social au sein d’une association d’aide aux migrants à Paris.
Au fil de ce roman, Hamet mélange les langues emmenant le lecteur dans un voyage totalement dépaysant. Une triple culture à laquelle Hamet tente de s’adapter, tout en refusant de se laisser enfermer dans des traditions qui protègent sûrement, mais sclérosent assurément.
L’écriture romanesque, doublée d’une gymnastique linguistique, de ce roman en font un joli moment de lecture et rappelle que le brassage, le métissage sont une richesse. Ici comme ailleurs.
Extraits
Page 42 : « […] Ce n’était pas juste? Pourquoi a-t-elle fait ça ? Walaye bilaye ! Si ça se trouve, M’ma appartient à un groupe d’auto-défense des mères « ne sachant ni lire, ni écrire ». Comme les sorcières, elles se réunissent toutes les fins d’année pour décider de leur assaut. Les vendeuses de beignets sont les cerveaux des opérations. M’ma appartient au corps d’élite des mamans fouineuses. Elle traque le moindre papier qui traîne dans la maison : journaux, maquettes, cartons, livres, cahiers pour allumer leur feu de bois. Si ça se trouve, elle e un bunker quelque part sous la maison, où elle cache les cahiers avant de les exfiltrer. »
Page 123 : « […] Tout le monde est admis. Les hommes sans titres forment le premier rang du cercle des affairés. Certains sont assis à même le sol, d’autres sont debout et bras croisés. Les femmes les suivent. Nous nous faufilons entre les deux pour entendre et voir la palabre. L’affaire est sérieuse. Très sérieuse ! L’accusée est soupçonnée d’avoir mis la chose dans la bouillie de son mari et de son beau-fils. Les raconteuses professionnelles, qui ont assisté aux premières heures de l’histoire, se donnent des détails afin d’être au point avant le début de la palabre. Des enfants pleurent, cherchant leurs mamans, ayant abandonné la maison, pressées par l’urgence du colportage. Seydou et moi sommes noyés dans la masse. Quelques phrases s’échappent du brouhaha et viennent à mes oreilles. »
Pages 182-183 : « J’aime beaucoup Mama, très-très fort d’ailleurs. Mais elle n’est pas vraiment au clair avec moi. Alors là, sans compter les étoiles pour connaître leur nombre exact je peux déclarer universellement qu’elle ne l’a même jamais été. Elle avait peut-être à m’éviter le pensionnat coranique de Touba. Mais elle avait contribué à mon expédition au village. Le genre de personne qui est à la fois avec les enterreurs du cadavre et avec les déterreurs du cadavre. Je me rappelle très bien la discussion qu’elle eut au téléphone avec M’ma. J’étias là. J’ai tout entendu. Enfin, j’ai entendu ce que disait M’ma, tenaillée entre son mari N’pa et sa belle-mère Mama. Elle me défendit. Elle expliqua que ce qu’on racontait à mon sujet n’était pas vrai. Je n’étais devenu ni un petit délinquant, ni un mécréant, ni même un Taboussi déraciné qui ne comprenait plus un mot de la langue de ses parents. J’étais simplement un garçon zélé qui aimait montrer qu’il parlait d’autres langues et apprenait les sorcelleries (sciences) des Blancs. »
Le duel des grands-mères, Diadié Dembélé, JCLattès, 19€