Tanguy Viel fait partie des auteurs chéris sur ce blog. C’est dit ! Des années que je suis le travail littéraire de celui qui est ami avec Laurent Mauvignier, mon auteur fétiche pour la vie
Donc Tanguy Viel est de retour. Et après Article 353 du code pénal que vous pouvez retrouver ici et La disparition de Jim Sullivan, disponible là, voici La fille qu’on appelle.
La fille qu’on appelle, c’est Laura. Une (très) jolie jeune fille de 20 ans. Une fille un peu perdue. Une fille qui après avoir vécu à Rennes, avoir été mannequin et posé dévêtue, revient chez son père. Là, au bord de la mer. A Saint-Malo devine-t-on.
Son père, Max Le Corre, est une figure locale. Boxeur, en pleine préparation d’un nouveau et dernier match, il est depuis des années le chauffeur du maire de la ville, Quentin Le Bars. Un drôle de type. Hâbleur, dragueur, manipulateur.
Laura cherche un appartement, un travail. Se présenter chez le maire sur les conseils de son père, elle n’y voit aucune malice. On la retrouve pourtant au début de ce roman devant deux policiers, pour porter plainte. Oui, Quentin Le Bars a abusé d’elle, de sa naïveté, de sa jeunesse. Installant sur la jeune fille une emprise qu’elle ne brisera pas. Consentante ? Elle le réfute. Elle n’avait pas le choix. Elle, la fille qu’on appelle (call-girl) n’avait pas la force. Son père ne s’est pas remis de son dernier combat. Alors elle quémande une aide auprès du maire, elle n’obtient rien. Reste enfermée dans une manipulation qu’elle ne peut défaire. Céder, ce n’est pas consentir…
C’est au casino que tout commence. L’endroit est tenu par Franck Bellec et sa soeur, Hélène. Le premier mange dans la main du maire quand ce n’est pas l’inverse, tenus qu’ils sont par une vassalité de bon aloi. La seconde a fait tourner la tête et le coeur de Max, qui a quitté sa femme, Marielle. Une histoire qui ne durera pas cependant. C’est pourtant elle qui fera éclater la vérité, une fois Quentin Le Bars devenu ministre.
Comme dans nombre de ses romans, Tanguy Viel raconte l’agencement malheureux dans lequel tombent des hommes et des femmes souvent notables, comme dans une souricière.
Un piège donc. Pour Laura, pour Quentin Le Bars devenu ministre. Pour Max Le Corre devenu apathique et désabusé.
Un roman rondement mené, autour de la province des notables, de la notion d’emprise et de manipulation.
Extraits
Page 49 : « […] Et Franck n’a pas eu besoin d’entendre ce qui se disait déjà entièrement et violemment dans la seule locution « par ailleurs » à cause de la manière dont Le Bars s’était arrêté de lui-même en pleine phrase. Alors Franck silencieux avait déjà compris, déjà interprété le » par ailleurs », non comme une carte maîtresse que l’autre s’apprêtait à abattre sur la table mais le simple rappel que leurs deux destins étaient assez liés pour qu’il ne puisse se désolidariser comme ça, à savoir : ce que tout le monde savait, que le bureau de Bellec n’était rien d’autre qu’une succursale de la mairie, là où se prenaient des décisions plus importantes qu’au conseil municipal, au point que certains avaient surnommé l’endroit « le ministère des finances », et Bellec le grand argentier de la ville. »
Page 81 : « Elle, tout ce qu’elle avait envie de leur dire, en les écoutant chanter sur le bord de l’écume, c’était qu’elles arrivaient trop tard, qu’avec les dieux c’est toujours la même chose, ils débarquent après la bataille et on dirait que leur joie consiste à alimenter les regrets comme on souffle sur les braises. Et elle les entendait presque rire, la regardant de cet air espiègle que seuls les êtres imaginaires peuvent conserver dans l’air acide, répétant comme une chorale d’enfants : Oh qu’as-tu fait, Laura, qu’as-tu fait ?
Page 119 : « […] Alors c’était plus facile, plus nécessaire aussi de considérer que les choses avaient été ce qu’elles devaient être, oublieuse de ce qu’elle avait elle-même considéré si longtemps comme un piège dont elle n’était pas parvenue à se défaire, essayant de se dire désormais, se justifiant auprès d’un tribunal intérieur que voilà, c’est normal, il m’a rendu service et je lui ai rendu service, rien de plus, aucun drame là-dedans – et c’était sa manière à elle de s’en sortir avec ça, apaisée soudain de rendre si prosaïque cette chose qui les avait si violemment liés, non, pas violemment, un simple deal, insistait-elle, un échange de bons procédés et qu’est-ce que ça peut leur faire à tous si en guise de monnaie il y a mon propre corps en gage ? »
La fille qu’on appelle, Tanguy Viel, Les Editions de Minuit, 16€