Rentrée littéraire été 2022
Une histoire. Insolite et sensible. Une histoire de prénom et d’identité. Une histoire d’histoires. Celle de Polina Panassenko que l’on devine en filigrane.
Née à Moscou, la jeune femme est auteure, traductrice et comédienne. Il y a 7 ans, elle avait publié une enquête. Elle signe avec Tenir sa langue son premier roman.
Que nous dit la quatrième de couverture ?
» Ce que je veux moi, c’est porter le prénom que j’ai reçu à la naissance. Sans le cacher, sans le maquiller, sans le modifier. Sans en avoir peur. »
Un peu plus d’un an après la disparition de l’URSS, Polina, sa soeur et ses parents ont rejoint la France. Et Saint-Etienne. Elle devient Pauline. Pour mieux s’intégrer. Deux prénoms pour deux vies qui se chevauchent, qui se répondent. Jusqu’au jour où la jeune femme décide de récupérer son prénom de naissance, au tribunal alors qu’elle doit renouveler son passeport. Pas si simple. Elle doit justifier du bien-fondé de sa démarche. Adolescente, elle avait mis au point un « Code personnel d’honneur patriotique », pour ne rien perdre de ses racines russes puisque sa mère y tenait tant. En classe de 4e, Polina est naturalisée de fait, puisque son père l’est au préalable.
Ce premier roman est construit autour d’une vie entre deux langues et deux pays. D’un côté, la Russie de l’enfance, celle de la datcha, de l’appartement communautaire où les générations se mélangent, celle des grands-parents inoubliables et de Tiotia Nina. De l’autre, la France, celle de la materneltchik, des mots qu’il faut conquérir et des Minikeums. La maladie de sa mère aussi, les questions restées sans réponse.
Un premier roman drôle et tendre à la fois.
Extraits
Page 69 :« Dans la salle éblouissante, les choses empirent de jour en jour. A l’instant où la sirène retentit, je ferme la bouche jusqu’à ce que ma mère arrive. Deux de mes voisins de table ont fini par comprendre qu’ils avaient carte blanche. Quoi qu’ils fassent, quoi qu’ils me fassent, je ne pourrai jamais faire usage de sons à leur encontre. L’immense femme-adulte ne me sera d’aucun secours. Impunité totale.
L’immense femme-adulte informe ma mère de mon mutisme. On me parle encore et encore de la langue qu’il me manque. La langue du français. C’est pour elle que je dois y aller. Je dois retourner à la materneltchik pour qu’elle me pousse. Tu la chanteras comme un oiseau, tu verras. Tchik-tchirik, fait le moineau. »
Pages 107-108 : « […] Ma mère aussi veille sur mon russe comme sur le dernier oeuf du coucou migrateur. Ma langue est son nid. Ma bouche, la cavité qui l’abrite. Plusieurs fois par semaine, ma mère m’amène de nouveaux mots, vérifié l’état de ceux qui sont déjà là, s’assure qu’on n’en perd pas en route. Elle surveille l’équilibre de la population globale. Le flux migratoire : les entrées et sorties des mots russes et français. Gardienne d’un vaste territoire dont le frontières sont en pourparlers Russe. Français. Russe. Français Sentinelle de la langue, elle veille au poste-frontière. Pas de mélange. Elle traque les fugitifs français hébergés dans mon russe. »
Page 122 :« Je suis la seule de ma famille à avoir perdu l’accent russe. La paroi entre le français et le russe est devenue étanche. Plus rien ne filtre au travers. On m’a dit C’est dingue ça, on n’entend rien du tout, non mais c’est vrai, c’est vrai, pas un pète de quelque chose. L’accent c’est quelque chose. Rien du tout c’est ce qu’il m’en reste. Ce sont les oreilles des autres qui actent la rupture, s’étonnent qu’il ne soit plus là. Tu as un français impeccable. Impeccable. Une cuisine bien lavée. Pas de pelures coincées dans le trou de l’évier. Pas de taches sur la nappe. Même pas une miette accrochée à l’éponge. Mais si mon français est impeccable, le français de ma mère, il est quoi ? Et celui de mon père ?
L’accent c’est ma langue maternelle. »
Tenir sa langue, Polina Panassenko, Editions de l’Olivier, 18€