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À la dérive…

I23405

L’été touche à sa fin à Long Island, et Alex n’est plus la bienvenue. Un faux pas lors d’un dîner et Simon lui paye un billet retour pour New York. Sans ressources, avec pour toute possession un téléphone qui a pris l’eau et ce don qu’elle a d’orienter à sa guise les désirs des autres, Alex décide de s’attarder dans les parages et se met à dériver tel un fantôme entre les avenues bordées de haies, les allées de garage protégées par des grilles et les dunes écrasées de soleil. Elle passe la semaine à errer, d’une rencontre à l’autre, refusant d’en rester là : Simon sera sûrement content de la voir arriver à sa fête du Labor Day.

Voici le postulat de départ de ce nouveau roman de l’écrivaine américaine Emma Cline. Une jeune auteure trentenaire, elle est née en Californie, dont je suis le travail depuis plusieurs années déjà comme je vous le raconte ici et .

« Alex vida son verre de vin, puis son verre d’eau. L’océan semblait calme, d’un noir plus sombre que le ciel. Ses paumes devinrent moites sous l’effet d’une vague d’angoisse. Soudain, il paraissait illusoire que quoi que ce soit puisse rester caché, qu’elle puisse passer avec succès d’un monde à l’autre. »

Une figure de parasite

Alex a 22 ans. Et plus beaucoup d’illusions. Elle s’est retrouvée dans de sales draps à New-York et se trouve déjà fanée. Simon pouvait-il lui apporter ce qu’elle attendait ? Sûrement.

Mais cela peut-il durer au-delà de l’été qu’elle passe au bord de la mer ? Elle va tout foutre en l’air, dans une piscine. Sans se résoudre cependant à dire adieu à cette vie-là… Tout va rentrer dans l’ordre, croit-elle. Question de temps. Et de pilules qu’elle avale (et vole) sans vergogne.

 

Sept jours durant, elle erre. Elle fomente. Elle ment. Beaucoup. Elle vole. Elle réfléchit. Elle arnaque. Sans se remettre en question cependant.

 Alex avait décidé de se laisser flotter. Elle continue à le faire. Certaine d’y arriver… Se laisse dériver sans perdre de vue la prochaine fête organisée par Simon où elle se dit sûre de le reconquérir. Malgré les coups de fil incessants et les menaces de celui qu’elle a volé…

Sept jours plus tard, elle se présente à la fête. Défaite.

Extraits

Page 22 :  » La fin de l’été, elle la passerait ici, avec Simon, et en septembre… Simon avait son appartement en ville. Il était question qu’Alex y emménage. Chaque fois que Simon évoquait un probable avenir, Alex baissait les yeux. Faute de quoi, son désespoir apparaîtrait de manière trop évidente. Simon croyait encore qu’Alex avait son appartement, et c’était important. Il fallait maintenir l’illusion de l’indépendance économique, lui laisser croire que c’était lui qui dirigeait tout. La retenue s’imposait, à ce stade. »

Page 160 : « […] Les nounous portaient des chemises aux couleurs aveuglantes qui venaient d’un restaurant de Saint-Martin ou de Moustique, elles transportaient des sacs en plastique de chez Citarella contenant des sachets de mini carottes détrempées qu’elles infligeraient aux enfants. 

Ceux-ci évoluaient dans un royaume à part, ils sautillaient au bord de l’eau, ne revenant vers les nounous que pour subir une nouvelle application de crème solaire. Les enfants ressemblaient trop à Alex. Tolérés, mais pas indispensables, pas assez puissants. »

Page 244 : « […] Elle était partie de chez Simon le mardi. On était samedi. Le temps avait pris un aspect un peu trouble, un peu irréel. 

C’était insoutenable, quelque part. Insupportable. Pourtant, elle avait tenu, non ? Puisqu’elle était là. Une sensation familière, une sensation diffuse qui revenait trop facilement. Ces moments où elle savait, avec certitude, qu’elle n’existait pas. Cela l’avait terrorisée, au début. Certains jours en ville qui s’écoulaient sans laisser sur elle le moindre impact. De lourds orages d’été dehors. Alex se grattait les jambes jusqu’au sang et mangeait des sachets de carottes à en vomir – ça ne l’empêchait pas de continuer à les manger. La nausée finissait par se tasser sur elle-même. Certaines heures de la nuit où la mort semblait une évidence, où elle se présentait comme la seule issue possible. 

Cette sensation était moins effrayante à présent. Ici, au bord de cette piscine froide. Peut-être était-elle le fantôme qu’elle avait toujours pensé être. C’était peut-être un soulagement. »

Emma Cline, l’Invitée, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean Esch. La Table Ronde, 23 €.

 

 

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