Il est des sujets plus légers que d’autres. Et des sujets lourds, terribles, traités avec légèreté. De quoi mieux comprendre les tenants et les aboutissants d’une tragédie en devenir.
Couronnée par le prix Renaudot, Scholastique Mukasonga a réussi cette difficile équation. Avec « Notre-Dame du Nil », elle signe un roman plein de grâce et à la force caustique indéniable sur un terrible sujet : l’opposition hutu/tutsi au Rwanda.
Scholastique Mukasonga sait de quoi elle parle. Née en 1956 au Rwanda, elle se réfugie au Burundi en 1973 où elle rencontre d’ailleurs son mari, un ethnologue français. Depuis plus de quinze ans, elle vit en Normandie où elle exerce la profession d’assistante sociale. Elle écrit depuis 2006.
Scholastique Mukasonga a choisi l’écriture pour » faire le deuil », » témoigner » et tout simplement « survivre » après le génocide perpétré sur les Tutsi par les Hutu en 1994. Sa mère y a perdu la vie comme vingt-sept autres personnes de sa famille.
L’histoire de ce roman ? C’est celui d’un pensionnat huppé, construit dans la montagne, tout à côté d’une des sources du Nil. Là, dans les années 70, vivent des dizaines de jeunes filles, toutes issues de familles en vue à Kigali. Des filles de ministres, de hauts dignitaires, de riches commerçants. Toutes sont Hutu à l’exception de 10% de l’effectif, Tutsi, issu des quotas instaurés par le régime.
Dans la classe de Terminale dans laquelle se déroule le roman, seules Virginia et Veronica sont de l’ethnie minoritaire. Elles doivent ainsi faire face aux méchancetés et aux attaques en règle de Gloriosa notamment qui ne voit là que « des parasites ». L’un des prêtres est également très dur avec les « minoritaires ». Seul, un « vieux Blanc », M. de Fontenaille, prend la défense de ses filles et associe les Tutsi aux descendants de l’Egypte des pharaons noirs.
Extraits
Pages 36-37 : « Le père Herménégilde fit un long discours un peu confus d’où il ressortait que le peuple de la houe qui avait défriché les immenses forêts jusque-là impénétrables qui recouvraient les Rwanda s’était enfin libéré de neuf cents ans de domination hamite. Lui-même, alors humble prêtre du clergé indigène, avait contribué, bien modestement sans doute, mais il pouvait ce soir en faire la confidence, à la révolution sociale qui avait aboli le servage et les corvées. S’il ne faisait pas partie des signataires du Manifeste des Bahutu de 1957, il en était, et cela sans se vanter, l’un des principaux inspirateurs : les idées, les revendications qu’on y exposait, c’étaient les siennes. Aussi il appelait toutes ces belles jeunes filles pleines de promesses qui l’écoutaient et qui deviendraient un jour de grandes dames à se souvenir toujours de la race à laquelle elles appartenaient, race qui était la race majoritaire et seule autochtone et… «
Pages 74-75 : « Quand les Hutu, avec l’aide des Belges et des missionnaires, avaient chassé le mwami et s’étaient mis à massacrer les Tutsi, il avait compris qu’il y avait urgence à accomplir ce qu’il s’était promis de faire. C’était désormais la mission de sa vie. Les Tutsi, il en était certain, allaient disparaître. Ici, ils finiraient par être exterminés, ceux qui s’étaient exilés se dilueraient de métissages en métissages. Il ne restait qu’à sauver la légende. La légende qui était la vérité. […]L’empire des pharaons noirs, c’était bien de là qu’étaient venus les Tutsi. Chassés par le christianisme, par l’islam, par les barbares du désert, ils avaient entrepris la longue marche jusqu’aux sources du Nil, parce que, croyaient-ils, c’était la terre des Dieux d’où, par la grâce du fleuve, ils dispensaient l’abondance. Ils avaient gardé leurs vaches, leurs taureaux sacrés, ils avaient gardé leur noble prestance, leurs filles avaient conservé leur beauté, mais ils avaient perdu la Mémoire. Maintenant, lui, Fontenaille, il allait accomplir sa mission. Il avait tout abandonné pour elle. »
Pages 181-182 : « – Bien sûr que j’en parlerai à mon père… D’ailleurs il m’a dit qu’on allait détutsiser les écoles et l’administration. Cela a commencé à Kigali et à l’université à Butare. Nous, on va d’abord détutsiser la Sainte Vierge, je vais lui rectifier le nez, il y en a quelques-unes qui comprendront l’avertissement. »
Mon avis
Le génocide rwandais en 1994 est encore présent dans nos mémoires. Les images sont là. Celles de la télévision et celles de la fiction ( télévision, cinéma). Il y a aussi les mots de Jean Hatzfeld. L’auteur de « Dans le nu de la vie », « Une saison de machettes » et « La stratégie des antilopes » nous avaient montré toute l’horreur du génocide et ses conséquences, qu’on soit Hutu ou Tutsi. Là, dans ce roman féminin, Scholastique Mukasonga, qui signe là son 4e livre depuis 2006, nous raconte que le génocide avait des racines très profondes.
A travers l’exemple, léger et anodin, d’un collège catholique pour filles, on plonge dans la réalité d’un pays, d’une génération. Les chapitres, courts, nous montrent la vie quotidienne et servent formidablement le discours de l’auteure. Le ton est caustique, l’écriture raffinée. A découvrir. Pour ne pas oublier ce qu’ont vécu les habitants du pays des Mille collines.
« Notre-Dame du Nil », de Scholastique Mukasonga, Continents noirs Gallimard, 17,90€.