Le roman américain, ça marche. La preuve ? Jetez un oeil aux têtes de gondoles et sur les tables des librairies. Tous les grands noms sont là, qui, chaque saison, reviennent avec de nouvelles histoires… et les mêmes recettes, semble-t-il, efficaces. Vous en trouverez d’ailleurs bon nombre sur ce blog.
Tanguy Viel, lui, romancier français vivant en France, a décidé de faire écrire à son narrateur un roman américain. Une gageure ? Ce serait mal connaître l’auteur de « Paris-Brest », « Insoupçonnable » ou encore « L’absolue perfection du crime » qui s’est plongé dans les clichés et les archétypes chers à la littérature yankee avec un certain talent.
Vous agitez le tout et vous obtenez « La disparition de Jim Sullivan », paru aux Editions de Minuit. Un petit bijou d’ironie et de loufoquerie.
L’histoire ? C’est celle de ce narrateur qui lassé de voir que les romans américains deviennent souvent des romans internationaux, décide de se servir des codes en vigueur outre-Atlantique pour écrire son nouveau roman.
Au fil des pages, une fois les poncifs collectés et repatinés, le narrateur nous plonge dans son histoire. Elle nous entraîne au Michigan et plus précisément à Detroit, dans les pas de Dwayne Koster, un universitaire ( il enseigne la littérature américaine). Quinquagénaire, il est quitté par sa femme Susan qu’il trompait avec une de ses étudiantes, Milly, jeune femme qui travaille en parallèle dans un dinner. De son côté, Susan le trompait avec Alex Dennis, également universitaire et bien plus charismatique que Dwayne.
Ah oui ! J’oubliais : Dwayne Koster est fan de Jim Sullivan, ce chanteur des seventies disparu mystérieusement en 1975 dans le désert du Nouveau-Mexique. Et les Etats-Unis sont en guerre contre l’Irak.
De chapitre en chapitre, notre héros va vivre une descente aux enfers au volant de sa Dodge des années 60. Le décor est planté. Rien ne manque. Jusqu’à la crosse de hockey dans le coffre, mais chut, je ne peux pas tout vous raconter !
Dans cette vidéo, Tanguy Viel raconte la construction de son roman
Extraits
Pages 10-11 : « Même dans le Montana, même avec des auteurs du Montana qui s’occupent de chasse et de pêche et de provisions de bois pour l’hiver, ils arrivent à faire des romans qu’on achète aussi bien à Paris qu’à New-York. Cela, c’est une chose qui m’échappe. Nous avons des hectares de forêts et de rivières, nous avons un pays qui est deux fois le Montana en matière de pêche et de chasse et nous ne parvenons pas à écrire des romans internationaux. »
Page 89 : « […] Et chaque jour aussi, en déjeunant là, chez Milly, il s’imaginait encore partir sur les routes d’Amérique avec elle sur le siège passager, sa jupe noire de serveuse qu’elle aurait gardée tellement ils seraient partis vite et les miles comme des fils barbelés qu’ils auraient mis entre eux et ce Michigan-là, trop sale ou trop vulgaire pour lui, pensait-il. Parce que c’est vrai que là, sur la Va, Dyke Avenue, l’Amérique de Sterling Heights, l’Amérique des façades blanches et des profs de fac, elle était très, très loin. »
Page 106 : « C’est un point très important du roman américain, l’adultère. C’est même une obsession du roman américain, que le mari ou la femme, même après le divorce, ait une histoire avec quelqu’un d’autre, et si possible alors, avec la personne que l’autre déteste le plus. Et je ne sais pas si on saisit bien que ce Dwayne a compris de ces histoires d’empereur et de messager, mais ce qui est sûr, c’est qu’à partir de ce jour-là, il a commencé à pointer là, à Rochester Hills, dans les soirs ténébreux qui ouvraient cette histoire, avec l’autoradio qui hésitait entre Jim Sullivan et la guerre en Irak. »
Mon avis
Les romans de Tanguy Viel sont toujours des petits bijoux de construction, d’inventivité et d’humour décalé. La preuve encore avec « La disparition de Jim Sullivan » qui nous entraîne outre-Atlantique, mais sans perdre de vue nos repères français. Tanguy Viel sait écrit des romans américains. Et il le fait si bien qu’on se dit… qu’heureusement pour nous, il est Français !
« La disparition de Jim Sullivan », de Tanguy Viel, Les Editions de Minuit, 14€.