Les odeurs marquent notre territoire, nous identifient aussi. Elles font partie de notre quotidien et de nos souvenirs, même les plus lointains. A travers sa collection Essences créée au printemps 2013, la maison d’édition Actes sud propose aux lecteurs de voyager à travers de multiples imaginaires, du récit au poème, de l’essai à la fiction.
Déjà sept livres ont été édités, dont « Baumes », de Valentine Goby, sorti en octobre. Un petit livre qui, si vous cherchez encore une jolie idée de cadeau pour les fêtes, sera du plus bel effet au pied du sapin.
A 40 ans, Valentine Goby a déjà une vingtaine d’ouvrages à son actif, dont plus de la moitié destinée à la jeunesse. Son premier roman, elle le publie en 2002. Elle devient enseignante en lettres et en théâtre métier qu’elle exerce en collège durant huit années avant de se consacrer entièrement à l’écriture, et à de multiples projets autour des livres.
Elle est actuellement maître de conférences à Sciences Po en littérature et ateliers d’écriture, et administratrice de la Charte des auteurs et illustrateurs. en 2014, elle est couronné par le Prix des libraires pour son roman « Kinderzimmer », également publié chez Actes Sud.
Avec « Baumes », Valentine Goby aborde ouvertement le récit autobiographique. Elle nous emmène avec elle dans son enfance, à Grasse, paradis des odeurs. Son père y est parfumeur.
La petite Valentine mettra toute son énergie à chasser l’odeur de son père le plus loin d’elle. Il sature l’espace. Le confisque. Au point même de déclencher des crises d’asthme chez la petite fille. Son corps réagit. Sa vie durant, la jeune femme prendra de la distance avec l’univers olfactif de ses origines pour se forger une propre identité, un chemin personnel.
« Mon père a tout envahi », confie l’auteure qui a fini par choisir ses parfums. Elle continue aujourd’hui de porter une fragrance que son père déteste. A travers l’écriture, sensible, Valentine Goby traverse à nouveau son enfance.
Extraits
Page 18 : « Le retour de mon père annonce le dîner. Ma mère sonne la petite cloche et j’ouvre la porte de ma chambre, je descends l’escalier marche à marche, j’avance pieds nus sur les tomettes froides. Plus j’approche de la cuisine plus l’odeur d’usine est massive, écrase la mienne, crème Nivéa/shampoing aux oeufs, la cuisine, c’est l’usine, l’usine, c’est mon père, on entre dans mon père pour le diner. On le trouve assis à table, le col de la chemise ouvert, il sourit dans l’odeur d’essence pure. Il ne s’est pas changé. Il a passé huit heures dans l’usine, l’odeur des cuves est devenue son odeur, il ne la perçoit pas. J’entre dans l’odeur, je reçois le baiser de mon père en apnée. »
Page 28 : « Mon corps s’épuise à dire non, il refuse et refuse et chaque jour il perd la bataille. L’asthme m’étouffe certains soirs, à coup d’inhalateur je tente de substituer des bouffées de cortisones aux nuées de particules qui voltigent en moi. »
Pages 56-57 : « Il hâte la fin de son repas, quitte la pièce, je suis désolé vraiment je ne supporte pas. Il aère la salle de bains après mon passage. Et il ose cette chose étrange : il me demande de changer de parfum. Comme on se rend service. Le mieux serait que tu changes de parfum. Voilà aussi simple que changer de sac à main ou de couleur de rouge à lèvres. Le parfum serait pur accessoire. Mon père dit ça ! Un parfum ça te signe, je le sais par mon histoire, par la nôtre, par mon père et par Jean-Baptiste Grenouille depuis mes treize ans. […] Il est ahurissant ce retour vers l’enfance, vers la toute-puissance paternelle, qui dicte, inconscient de l’humiliation qu’il inflige, et l’air que tu respires et l’odeur qui doit émaner de toi. »
Mon avis
Une vraie découverte ! J’ai adoré ce récit de 64 pages, écrit avec le coeur et une langue sensible. Une plongée fine dans une relation père-fille compliquée. A ne pas rater !
« Baumes » de Valentine Goby, collection Essences, Actes sud, 10€.
Céline Curiol, Anne-Marie Garat, Cécile Ladjali, Lyonel Trouillot, Véronique Bizot et Hélène Frappat sont les autres auteurs de la collection Essences.