Un roman qui résonne étrangement. En ce début d’année 2015, Jean Rolin nous parle de guerre civile… en France. Le pays est aux prises avec des milices de tous genres. Nationalistes, islamistes.
Michel Houellebecq, de son côté, signe avec « Soumission », un roman d’anticipation, – nous sommes en 2022, le président français est musulman et le premier ministre de synthèse un certain François Bayrou – qui n’a pas manqué de susciter des réactions.
Deux auteurs et un sujet : l’avenir de la France dans un futur proche imaginé… et imaginaire.
Après ses deux précédents romans dont vous trouverez mes amis ici « Ormuz » et ici « Le ravissement de Britney Spears », Jean Rolin est un auteur dont j’apprécie particulièrement l’écriture et le sens de la fiction.
C’est encore le cas avec « Les événements ». La France est ravagée, en pleine guerre civile. Les hommes de la Force d’interposition des Nations unies en France (FINUF) sont là, tentent de maintenir le calme. Le territoire est aux prises des Unitaires, des islamistes modérés du Hezb, des djihadistes d’AQBRI ( Al Qaïda dans les Bouches-du-Rhône islamique, si si).
Entre miliciens d’extrême gauche et ceux d’extrême droite, c’est la guerre. Au sein propre ( si tant est que cela puisse l’être) du terme.
Un homme traverse cette France belliqueuse. De lui, on ne sait pas grand-chose. Il transporte des médicaments à l’intention de son ancien amant, chef d’une milice nationaliste, un certain Brennecke. Il se fait passer pour un journaliste américain. Il traverse le pays de Paris aux Bouches-du-Rhône, pour une mission d’abord, mais aussi en quête d’un fils potentiel qu’il aurait pu concevoir avec Victoria. Une virée qu’un narrateur raconte également. Comme une réponse aux impressions de notre personnage principal qui raconte ce qu’il voit. Ce qu’il vit et ressent à travers la Beauce, la Sologne et la Lozère.
Partout, la désolation, à la campagne comme à la périphérie des villes. Les conflits d’hier et d’aujourd’hui se répondent, de monument aux morts en rue à la plaque évocatrice.
Au fil des pages, la guerre, si proche, cesse complètement d’être exotique à travers les mots de Jean Rolin, écrivain voyageur et journaliste, marqué notamment par son expérience de la guerre en ex-Yougoslavie.
Ici, Jean Rolin revient sur la genèse de son roman
Extraits
Page 18 :« Les accréditations dont je disposais, et qui étaient rédigées à dessein dans un style à la fois vague et pompeux, me permirent d’occuper, pour la nuit, une chambre de l’hôtel Première Classe qu’un officier en déplacement avait laissée vacante. Située au troisième et dernier étage de l’établissement, la chambre, dans laquelle régnait un froid glacial – apparemment, le groupe qui alimentait le bâtiment en électricité n’était pas assez puissant pour remettre en service le chauffage, à moins que le matériel dont disposait l’hôtel fût inadapté à ce moyen –, la chambre donnait sur le champ de maïs, ménageant sur l’amas de curés morts une vue qui, bien que surplombante, ne me permit pas de déterminer leur nombre plus exactement que je n’avais pu le faire depuis le niveau du sol. La difficulté venait de ce que leurs corps étaient ainsi disposés qu’ils se recouvraient en partie les uns les autres. »
Page 43 :« En dépit de la coloration nationaliste – voire fascisante, du point de vue de ses détracteurs – du mouvement de Brennecke, le fait qu’il ait établi à Salbris son quartier général n’a pas eu d’incidence sur la composition ethnique de ce prolétariat forestier. Il semble même que certains des bûcherons, aguerris par la fréquentation des sous-bois et le maniement de la tronçonneuse, aient rejoint sa milice de plus ou moins bon gré. »
Page 185 :« C’est à la terrasse d’un café du port, dans les odeurs d’hydrocarbures émanant des installations de Lavera, que le même jour, celui de ma visite au front, j’ai appris de la bouche d’une journaliste la destitution de Brennecke et son remplacement par un triumvirat. De qui se composait ce triumvirat, la journaliste ne le savait pas, et de même ignorait-elle ce qu’il était advenu de Brennecke : l’hypothèse la plus vraisemblable voulait qu’il fût vivant, et détenu dans les locaux de la FINUF à Saint-Amand. “Ainsi ”, me disais-je, avec une pointe de mauvaise foi, compte tenu des rapports que j’avais entretenus avec lui et des services que je lui avais rendus,“ainsi devait péricliter la carrière d’un aventurier sans scrupules”. »
Mon avis
Drôle d’ambiance que celle de ce roman ! On traverse le pays avec un personnage aux contours flous. On le suit dans une France en plein conflit gelé. Aucune solution ne se dessine. Une manière aussi d’évoquer des conflits en cours, tout à côté de chez nous. Une manière aussi pour Jean Rolin de décrire l’environnement de ses personnages. Les détails sont précis, réels. Les zones périurbaines sont laides et sans vie. Autre marotte de l’auteur, la description de la faune et de la flore. De quoi faire naître un peu d’espoir ? Avec Jean Rolin, on n’est jamais sûr de rien ! A découvrir.
« Les événements », de Jean Rolin, P.O.L., 15€.