Peut-on tout pardonner à celui qui a réussi et qui partage avec autrui le fruit de ses richesses ? Le succès absout-il de tout ? Et n’est-il pas, de toute manière, suspect ? Voilà l’une des thématiques développées par Metin Arditi dans son nouveau roman,« Juliette dans son bain », paru chez Grasset.
Un auteur dont plusieurs romans ont déjà été présentés ici et là.
Né à Ankara en Turquie, Metin Arditi vit à Genève. Ingénieur en génie atomique, il a enseigné à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne où il a créé la fondation Arditi (qui attribue une quinzaine de prix annuels). Il a également crée la Fondation « Les Instruments de la Paix-Genève », qui favorise l’éducation musicale à des enfants de Palestine et d’Israël.
Page 183 :« Leur mariage fut un marché de dupes. En l’espace de quelques mois, la jeune fille charmante et gaie devint amère. A Marseille, ils n’avaient pas d’amis. Ronny avait grandi ailleurs. Cette ville n’était pas vraiment la sienne. Leur intimité en était restée aux ébats de la première fois. En quittant Genève, Anne-Sophie avait sacrifié un entourage qui lui offrait des repères, une affection à la mode genevoise, sans mots de trop, réservée mais réelle. Un chez-soi. Des racines. L’admiration qu’elle avait ressentie pour les exilés de Marseille se transforma en mépris. Elle les trouvait tapageurs, excessifs, et pour tout dire vulgaire dans ce besoin qu’ils avaient de sans cesse s’agiter, s’interpeller, se retrouver… La quiétude genevoise, le sentiment d’immuabilité de toutes choses, lui paraissaient désormais comme les marques suprêmes de la distinction. Elle s’était piégée toute seule, avec son étude sur les exilés et leurs histoires de racines perdues. »Page 189 :« 26 mai 2000Intitulé “Mécènes et mises en scène”, l’éditorial du Figaro soulevait la question du don comme outil d’influence :Les bons comptes dont les bons amis, dit la sagesse populaire. Ne faudrait-il pas l’écouter ? Dès lors qu’un citoyen a le sentiment de contribuer à la société plus qu’il n’en a le devoir, ne restera-t-il pas dans l’attente d’une reconnaissance ? Ne sera-t-il pas tenté de penser, non sans raison, qu’il a droit à un petit merci ? Et puis, l’appétit venant, à un merci plus grand ? Et au prochain don, à un merci à sa mesure ? Si les bons comptes font les bons amis, les cadeaux pharaoniques ne mettent-ils pas en cause l’équilibre social ? Ne faudrait-il pas les interdire ?”Deux lettres de l’AVRAK sur les dix annoncées, se dit Ronny, c’est déjà la curée. »Page 348 :« Il aurait aimé être beau, lui aussi. Que sa mère le prenne contre elle. Pas par désoeuvrement. Avec tendresse. Avec passion, même. Qu’elle laisse Anastasia de côté et le presse contre ses seins. Qu’elle lui dise des choses tendres. Pas monsieur l’épicier levantin derrière son comptoir, ou monsieur le vendeur de noisettes. Qu’elle l’appelle mon trésor, sel de ma vie, et d’autres choses douces, qu’elle le presse contre ses seins, qu’elle le noie dans ses chairs, qu’elle lui parle avec douceur, lui apprenne la tendresse des gestes, qu’elle lui donne le goût des baisers dans le cou, sur les yeux, sur la bouche, aussi, plus longs que ceux qu’elle donnait à Anastasia, plus sur la bouche. Qu’elle lui dise voilà comment tu feras pour être aimé, et il aurait su comment aimer, lui aussi. »Mon avis