Après le Japon, cap sur l’Amérique ! Celle de Russell Banks en prime. Celle d’hommes et de femmes ordinaires qui ne trouvent plus leur place dans la société ou qui se rendent compte que celle-ci ne tient plus qu’à un fil. Alors ils se lancent dans des plans voués à l’échec, des histoires ratées.
Avec « Un membre permanent de la famille », l’auteur américain dont l’oeuvre est traduite dans vingt langues, nous évoque en douze nouvelles la « middle-class » d’aujourd’hui, de New-York à Miami.
Né en 1940, Russell Banks, est l’un des écrivains majeurs de sa génération. Président du Parlement international des Ecrivains, il est également membre de la prestigieuse American Academy of Arts and Letters.
Familles éclatées
Treize ans que cet auteur n’avait pas publié de recueil de nouvelles. Pour lui, l’exercice est très différent de l’écriture d’un roman. Il compare ce dernier à « un mariage », celle de la nouvelle s’apparentant à une « liaison ». » C’est bref, intense, il faut se concentrer », expliquait-il cet hiver à l’antenne de France Culture.
Avec « Un membre permanent de la famille », nous voilà happés dans douze histoires. Douze destins. Douze histoires avec cependant la même toile de fond : un contexte compliqué, une famille éclatée, des difficultés matérielles ou morales…
Les histoires sont donc multiples. Ici un ancien Marine arrêté par ses propres fils après avoir braqué une banque, là, la mort d’un chien qui achève de distendre les liens entre un père et ses filles après le divorce, ou encore une femme, noire, enfermée malgré elle dans le parking d’une concession automobile sur lequel un pitbull monte la garde… Sans oublier l’histoire de cet artiste reconnu enfin par un prix international ou encore celle d’Isabel, qui vient de perdre son mari et qui entend s’installer définitivement à Miami, loin des montagnes et du froid.
Extraits
Page 37 : » Un membre permanent de la famille »
« Personne, évidemment, n’a reproché à Sarge d’avoir rejeté la garde alternée et d’avoir du même coup brisé notre famille. En tout cas, pas consciemment. En réalité, à cette époque où la famille commençait à se défaire, aucun d’entre nous ne soupçonnait à quel point nous dépendions de Sarge pour continuer à ne pas voir la fragilité,l’impermanence même de notre famille. Aucun d’entre nous ne savait qu’elle nous aidait à différer l’éclatement de notre colère, à repousser notre besoin de coupable, à qui reprocher la séparation et le divorce, la destruction de l’unité familiale, la perte de notre innocence. »
Page 68 : « Transplantation »
« Quand il vous arrive un truc épouvantable et que c’est votre faute, bon sang, on n’en fait pas son deuil, se dit-il. Ce qui s’est passé, c’est à vous de vivre avec. Il avait traversé seul ses trois crises cardiaques, une opération à coeur ouvert pour un pontage coronarien et, un an plus tard, la détérioration du coeur même. Et maintenant la transplantation. Tout cela, d’une certaine manière, résultait du fait qu’il avait détruit la seule chose vraiment bien qui lui soit arrivée, son mariage avec Janice. Ni les crises cardiaques, ni le pontage ni la transplantation n’auraient eu lieu, pensait-il, s’il n’y avait pas eu le divorce. C’était une superstition, il le savait, mais il ne pouvait s’en défaire. »
Page 175 : « Les Outer Banks »
« La quincaillerie ne lui avait pas manqué une seule fois, de même que la banque n’avait jamais manqué à Alice. Ils avaient attendu la retraite avec impatience, et une fois qu’ils l’avaient atteinte, elle leur avait bien plu, tel un lieu de vacances où ils auraient décidé de séjourner toute l’année. N’ayant pas d’enfants ni de petits-enfants ni d’autres parents proches, ils étaient aussi libres que des oiseaux. Des “oiseaux des neiges”, comme on les avait appelés e, Floride et là-bas en Arizona. Quand ils étaient partis de chez eux, leur chienne Rosie était déjà vieille – dix ans ou peut-être onze, il n’était pas sûr du chiffre. Il l’avait trouvée à la fourrière, mais, bon sang, il n’avait pas imaginé qu’elle allait mourir comme ça ».
Mon avis
Des années que je n’avais plongé dans un ouvrage de Russell Banks ! J’en ai lu un bon paquet et ai retrouvé avec plaisir l’écriture et les histoires de cet auteur américain en prise avec les classes moyennes et pauvres de son pays. Un régal que ce recueil de nouvelles ! Russell Banks excelle à nous emmener dès la première page dans une histoire simple et compliquée à la fois. Pleine d’empathie pour des hommes et des femmes souvent empêtrés dans leurs soucis, leur solitude, leur ras-le-bol. Un bon moyen, pour ceux qui ne l’ont encore jamais lu, de découvrir l’univers de l’auteur.
« Un membre permanent de la famille », Russell Banks, Actes sud, 22€.
Nouvelles traduites de l’américain par Pierre Furlan.