Sélection prix Roblès 2015
On poursuit la découverte de la sélection 2015 du prix Roblès avec « Karpathia » de Mathias Menegoz. Comme Adrien Bosc ( qui a cumulé les récompenses pour son « Constellation », Mathias Menegoz a obtenu un prix prestigieux en raflant le prix Interallié.
L’auteur signe là une fresque historique assez incroyable qui, au fil de presque 700 pages, nous fait découvrir la Transylvanie, en 1833.
Mathias Menegoz a 46 ans. Scientifique de formation, il s’est penché sur l’une des branches de sa famille et a ainsi découvert les différentes communautés de la Mitteleuropa. Après des mois de recherches à la bibliothèque nationale autrichienne, il a imaginé ce roman-fleuve. Passionnant.
L’histoire ? C’est celle du comte Alexander Korvanyi. Ce capitaine hongrois, héritier d’une grande famille de seigneurs féodaux, décide de quitter Vienne et l’armée pour s’installer sur ses terres, en Transylvanie, une terre complexe où se mêlent Magyars, Saxons et autres Valaques. Une terre où tentent de coexister plusieurs religions, différentes juridictions… et un régime féodal qui était un peu tombé en désuétude.
Avec sa jeune épousée autrichienne Cara von Amprecht, il va tenter de remettre son monde au pas. Non sans mal. Il lui faut gagner la confiance de son intendant, se faire obéir de ses serfs et faire fructifier ses terres et ses droits. De quoi perturber, et c’est peu de le dire, les habitudes prises depuis la forteresse familiale n’était plus tenue par la famille Korvanyi.
Une chasse qui se transforme en guérilla, d’horribles légendes qui reprennent vie après un viol, une étrange et sécrète confrérie des forestiers qui souhaite émanciper les hommes qui vivent là tout en multipliant les pillages… Cara et son mari se battent, mais comment faire quand l’ennemi est aussi à l’intérieur ?
Extraits
Page 178 : « Le compte passa en revue les chefs des principales familles que lui présentait Lànffy. Il fit un bref discours en hongrois pour annoncer qu’il vivrait désormais presque tout le temps au château, qui l’époque de l’abandon et du laisser-aller était finie et qu’il consacrerait tous ses efforts à restaurer l’ordre, la justice et la prospérité dans ses domaines. L’assemblée sur la prairie fit apparaître clairement l’infériorité numérique des Saxons et des Magyars par rapport aux Valaques. »
Page 370 : « Le comte était haï par les serfs valaques plus que par les autres communautés : il avait banni Ion Varescu, il avait pris parti en faveur des Tziganes et maintenant il les chargeait de faire seuls la corvée des moissons, pour les exclure de toute participation à la Jagdfest… Cependant, puisqu’ils étaient habituellement les plus maltraités de tous les serfs, ils étaient aussi les plus endurcis. Pour résister à l’oppression, les Valaques de la Korvanya avaient un avantage secret par rapport aux autres serfs : même si la plupart d’entre eux ignoraient presque tout des forestiers et de Vlad leur maître, ils baignaient dans les légendes tissées autour de lui. Ils avaient foi en une Puissance mystérieuse qui veillait sur eux. Ainsi les prières qui s’élevaient de l’église orthodoxe prenaient une force particulière. Ces prières les réconfortaient d’autant mieux qu’ils croyaient confusément sentir la proximité du Sauveur auxquelles elles s’adressaient. En ces temps de crise, le pope s’efforçait d’étouffer ses propres scrupules théologiques et tolérait cette confusion sans la combattre ni l’entretenir ouvertement. »
Page 520 : « Parmi les forestiers qui attaquaient le château des Korvanyi, seul Vlad en connaissait l’intérieur. Ses souvenirs anciens n’avaient perdu ni en férocité ni en précision. Les autres forestiers furent un peu désorientés après avoir atteint leur premier objectif, la capture du portail. Mais leurs ordres étaient simples : tout tuer et tout détruire, le plus vite possible. Ils se dispersèrent donc par groupes de deux ou trois pour traquer leur gibier et fouiller les différents bâtiments avant d’y mettre le feu. Malgré les recommandations de leurs chefs, nombre d’entre eux étaient aussi prêts à s’attarder et à s’encombrer en pillant les richesses du seigneur Korvanyi, tant le succès facile de leur premier assaut les mettait en confiance. »
Mon avis
Voilà un roman qui ne m’inspirait pas vraiment au départ et que j’ai pourtant dévoré ! Si l’histoire ne s’étale pas sur une longue période, elle est cependant très dense, très riche… et pleine de rebondissements. Loin des clichés sur la Transylvanie, nous voilà au plus près d’un contexte social, racial et religieux plutôt compliqué. Le comte Korvanyi, lui, ne changera pas de ligne de conduite, au milieu des montagnes et des grandes forêts que ses aieux lui ont transmis. Un premier roman remarquable.
« Karpathia », Mathias Menegoz, P.O.L., 23,90€.