Flux pour
Articles
Commentaires

 Sélection prix Roblès 2016

C’est le printemps ! Et aussi le moment de plonger dans la sélection du prix Roblès 2016. Depuis 1990, en effet, le prix Emmanuel-Roblès, prix des lecteurs de Blois-Agglopolys, couronne l’auteur d’un premier roman francophone, récompensé par une bourse.

Le 3 juin prochain, les lecteurs détermineront ainsi le lauréat 2016 parmi six auteurs. Des semaines déjà que les comités de lecture sont plongés dans leurs écrits.

Avec mes collègues de la NR de Blois, je fais partie d’un de ces comités. Qui sera notre lauréat ?

Sélection 2016 :

« En attendant Bojangles  » d’Olivier Bourdeaut
« Djibouti » de Didier Deram
« Le cas Annunziato » de Yan Gauchard
« Un marin chilien » d’Agnès Mathieu-Daudé
« Je me suis tue » de Mathieu Menegaux
« Today we live » d’Emmanuelle Pirotte

Vous trouverez ici mon post concernant « Djibouti », dont j’ai beaucoup aimé le texte il y a déjà plusieurs mois, publié chez Buchet Chastel, une petite maison d’édition décidément bien inspirée et dont l’un des auteurs, Nicolas Clément, a précédemment remporté le prix pour « Sauf les fleurs ».

MARIN CHILIEN

 

Je viens de refermer « Un marin chilien », premier roman d’Agnès Mathieu-Daudé, conservateur du patrimoine à Paris.

C’est très loin de la capitale qu’elle nous emmène cependant. En effet, ce roman se déroule en Islande. Là-bas, une drôle d’histoire se trame. Alberto, géologue chilien vient y passer plusieurs semaines pour suivre de près une éventuelle éruption volcanique. Un quiproquo et un café plus tard, Thorvardur le soupçonne d’être l’amant de Thorunn, son ex-femme et mère de son petit garçon. De quoi mettre l’homme très très en colère. Thorvardur n’est pas un homme commode. Colosse colérique et alcoolique, il peut compter sur sa mère, la terrible mégère Hekla pour entretenir et alimenter son ressentiment.

Au fil des pages, l’histoire se corse. Alberto devient, au terme d’une nuit alcoolisée, propriétaire de l’usine désaffectée de son rival. Puis fait la connaissance de Björn, drôle de fermier solidaire… qui n’est autre que le frère jumeau de Thorvardur. Là, il fera aussi la connaissance de Hanna, une adolescente paumée et visiblement en danger.

Ajoutez à cela un Alberto pris entre sa quête d’identité (abandonné à sa naissance, il a été recueilli et élevé par des religieuses), sa culpabilité (il se croit responsable de la mort de son meilleur ami Marcello), et son questionnement sur son histoire d’amour avec Maria, au Chili, et Thorunn  en Islande… et vous obtenez un premier roman exotique, un road-movie sur une île au caractère bien trempé. Dommage que l’ensemble du roman ne soit pas à la hauteur des premières pages enthousiasmantes !

Extraits

Pages 18-19 :« Ces jumeaux  étaient arrivés alors qu’Hekla ne s’y attendait pas. On ne pouvait pas dire qu’elle ne s’y attendait plus, elle n’avait simplement pas envisagé d’avoir des enfants avec Björn, le père. Elle l’avait épousé, on faisait comme cela en 1940 et il était peut-être le seul à avoir accepté. Bien plus tard, elle avait appris en regardant le journal télévisé que l’on pouvait choisir de vivre avec une femme, plutôt qu’avec un homme. Elle ne ressentait pas d’attirance particulière pour les femmes, elle n’avait d’ailleurs pour autant qu’elle s’en souvienne jamais ressenti d’attirance particulière pour qui que ce soit, mais cette découverte en amenait une autre : on pouvait subsister sans mari, et ce sans pour autant rentrer dans les ordres ou avoir raté sa vie. Pourquoi personne ne le lui avait dit ? Cette question devenait obsessionnelle. Elle mettait sur le même plan l’autre grande escroquerie que l’avait menée à croire que manger de la viande était indispensable à la survie de l’être humain, théorie dont la même télévision lui apportait un démenti flagrant sous couvert de reportages sur les végétariens, au milieu des inanités qu’elle regardait lorsqu’il était trop tard pour que les visiteurs s’aventurent dans son jardin. Elle détestait la viande autant qu’elle détestait son mari. Elle détestait surtout se faire avoir. « 

Page 148 :« Peut-être que son projet de recherche soudain et ses envies d’éruption n’avaient d’autre explication que son désir ou son besoin de quitter le Chili. Est-ce que c’était aussi quitter Maria ? Il faudrait bien en revenir, de ce voyage en Islande. Ou est-ce qu’il prévoyait de disparaître dans l’éruption, opposant son silence au satellite qui avait repéré son téléphone et lui transmettait les messages de Maria ? Quel drôle d’amour que celui qu’il fallait noyer dans des torrents de lave ou d’indifférence. Et Thorunn ? Il la connaissait depuis trois jours. Est-ce qu’en trois jours on pouvait oublier une relation de dix ans ? Ou est-ce que ce n’était pas le seul moyen d’oublier une relation de dix ans ? Ce que Maria lui apportait, Thorunn saurait peut-être le remplacer : après tout, elle exsudait le confort en plus d’une animalité qui l’avait jeté sur le tapis à ses côtés ».

Page 244 :« Il alla se laver les mains, il frotta longtemps sous le petit filet d’au glacée qui s’écoulait de l’unique robinet du lieu, et essuya sur son pantalon. Il regarda les traces que ses mains dessinèrent sur le velours. Dans quelques minutes, elles auraient disparu, tandis que son empreinte rouge prenait déjà sur la porte une teinte ocrée comme la rouille du phare et la rouille des machines. Accidentelle ou intentionnelle, il fallait réfléchir à la trace qu’on voulait laisser. Avait de repartir, il s’approcha de la falaise, aussi près qu’il l’osait. D’un mouvement de bras qui faillit le déséquilibrer, il jeta la clé de l’usine, aussi loin qu’il le put. »

« Un marin chilien », Agnès Mathieu-Daudé, Gallimard, 18€

 

 

 

Laisser un commentaire

*