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Et de trois pour Julie Douard ! Après un premier roman remarqué « Après l’enfance », en 2010, donc lu avant la création de ce blog en 2011 et « Usage communal du corps féminin » (2014) dont vous pouvez retrouver la chronique ici, Julie Douard, professeure de philosophie à Caen et par ailleurs auteure de plusieurs pièces de théâtre, est de retour.

Cette fois, son terrain de jeu est le siège d’une entreprise de papeterie et de matériel de bureau. Une entreprise dans laquelle des gens s’ennuient. Se cachent, boivent, cherchent l’amour, tentent de se retrouver par l’entremise d’un coach… Bref, essayent de s’en sortir. Des quadras désemparés qui doivent en outre se coltiner une hiérarchie surmenée et dépassée. Bienvenue dans le monde du travail des années 2000 !

Au fil des 63 courts chapitres, Julie Douard signe un roman à la fois drôle et cruel. Une estampille qui marque l’oeuvre de l’auteure. Et un régal pour ses lecteurs et lectrices, je vous le confirme ;-)

Il y a donc Michon, coaché par Bernard et Chantal, sa femme, en sous-main, pour enfin trouver l’amour et donner du sens à sa  vie. Il y a François, qui chaque jour, se cache sous son bureau pour, durant quelques minutes, se protéger un peu de la vacuité des choses. Mais aussi Sophie, assistante zelée et humiliée chaque jour davantage par son supérieur Jean-Charles Michel. Et encore Henri, lui, se noie dans le sport depuis qu’il héberge le serbe Goran. Un coach qu’il aimerait aussi mettre dans son lit.

Au fil des semaines et des mois, ces personnages se croisent, se cotoient, se détestent, s’allient… Et finiront  par devoir tous ensemble participer à un semi-marathon aux couleurs de leur entreprise. Ambiance vaudevillesque pour ce roman à rebondissements.

C’est frais, drôle, burlesque et rondement mené. Idéal pour cet été… loin du bureau ;-)

Extraits

Page 12 :  « Michon avait bien des défauts main on pouvait reconnaître qu’il avait l’élégance de ne pas s’être donné pour mot d’ordre de dévorer le monde et d’écraser ses rivaux. Il ne cherchait rien de plus qu’à exister dans les yeux de celui ou celle qu’il croisait dans les couloirs, ce qui – le concernant – était déjà très ambitieux. Quant à François, il n’avait pour lui-même aucun mot d’ordre, à part tâcher de survivre car mourir était trop risqué, on pouvait se blesser. Il lui fallait également surmonter la nausée que lui procurait l’ennui ressenti au travail. Ne rien faire du tout eût été plus amusant, mais il fallait manger et malheureusement François ne chassait pas, il devait donc payer chacun de ses repas. »

Pages 128- 129 : « Le gros avantage du Serbe était qu’on n’avait pas à lui faire la conversation au cours du repas. Il semblait à l’aise partout sans être pourtant jamais euphorique ni même juste gai. François saluait son équanimité et ne cherchait pas d’autre compagnie pour déjeuner que ce duo étrange qui se servait du sport comme d’un radeau mal ficelé, l’un pour éviter la rue, l’autre pour fuir la solitude. Henri allait devoir plutôt s’inscrire au semi-marathon s’il ne voulait pas décéder en cours de route car il dévorait tout ce qu’il trouvait à défaut de pouvoir croquer Goran. C’était tellement flagrant que François se demandait s’il n’allait pas devenir diabétique avant même de s’être avoué son désir et d’en avoir informé l’heureux objet. »

Page 198 :  » Goran était heureux de voir Sophie enchaîner les tours sans jamais avoir l’air de souffrir. Il la pensait sportive et compétitrice, ce qu’elle n’était pas. En réalité, elle avait trouvé là un moyen de tout oublier, hormis son propre corps, machine bondissante au souffle régulier. Elle ne devançait pas les autres, elle les fuyait. Elle disparaissait de leur vue et s’imaginait qu’elle s’échappait durablement, portée par de longues jambes fines capables de la mener au bout du monde. »

« La Chair des vivants », Julie Douard, P.O.L. , 17 euros.

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