Rentrée littéraire
Chloé Delaume est de retour ! Et à la lecture de son roman pop « Le coeur synthétique », je me dis que c’est une très bonne nouvelle.
Depuis plus de vingt ans, la quadragénaire écrit sous différentes formes et supports. Romans, poèmes, théâtre, fictions sonores construisent son œuvre qualifiée d’expérimentale. Elle se définit comme écrivaine, éditrice, performeuse et musicienne.
Durant l’été 2017, je l’avais rencontrée dans le jardin de son compagnon d’alors, Daniel Schneidermann, à Tours, pour évoquer son travail d’écriture.
Vous pouvez retrouver l’article ici.
En 2019, elle avait publié « Mes bien chères soeurs » aux éditions du Seuil, un manifeste où elle décrit le féminisme comme une chose ordinaire.
Cette autrice au parcours de vie tragique ( elle a 9 ans et demi quand son père tue sa mère avant de se suicider), s’est inventée une identité grâce à «L’Écume des jours», de Boris Vian, pour un nouveau prénom, un livre d’Antonin Artaud, pour son nouveau patronyme. Et s’est construit un univers.
L’histoire de ce nouveau roman ?
C’est celle d’Adélaïde, 46 ans. Elle vient de rompre. Elle travaille dans l’édition. Et essaye de réinventer sa vie. Pas si simple. A cause de son âge, de ses attentes.
« Alors qu’elle s’élance sur le marché de l’amour, elle découvre avec effroi qu’avoir quarante-six ans est un puissant facteur de décote à la bourse des sentiments. Obnubilée par l’idée de rencontrer un homme et de l’épouser au plus vite, elle culpabilise de ne pas gérer sa solitude comme une vraie féministe le devrait.
Entourée de ses amies elles-mêmes empêtrées dans leur crise existentielle, elle tente d’apprivoiser le célibat, tout en effectuant au mieux son travail dans une grande maison d’édition. En seconde partie de vie, une femme seule fait ce qu’elle peut. Les statistiques tournent dans sa tête et ne parlent pas en sa faveur : « Il y a plus de femmes que d’hommes, et ils meurent en premier. » », nous dit la quatrième de couv.
Au final, un roman drôle, acide, caustique, poignant… et très bien écrit. Voici une comédie ( Chloé Delaume évoque même une parodie de « chick lit » ) sur le célibat et la solitude. Un roman qui parle des femmes, de la sororité aussi. Une thématique qui accompagne désormais l’autrice. Le tout avec le milieu de l’édition pour décor. Truculent. Et impitoyable.
Chaque chapitre est titré par une chanson française. L’autrice voulait que « de la musicalité » dans son texte. « Je voulais que le lecteur ait de la musique dans la tête en le lisant », expliquait-elle à Laure Adler, dans l’émission « L’heure bleue », le 27 août, sur France Inter.
Pour accompagner la sortie du livre, il y aura d’ailleurs un disque dont la sortie était prévue le 11 octobre prochain.
Extraits
Page 46 : « Adélaïde se plonge, se noie dans ses souvenirs. Adélaïde neuf fois a été amoureuse. Elle a cohabité avec six des élus, est restée très longtemps avec nombre d’entre eux. Adélaïde calcule le temps passé en couple, de son premier petit ami à son dernier et unique mari. Elle obtient pour réel vingt-sept ans de sa vie. Et aussitôt ce chiffre ouvre sous ses pieds un abîme qui esquinte le plancher. Adélaïde répète neuf fois en pensant aux neuf vies du chat, capital soleil épuisé. Sur sa peau, plus jamais d’amour, juste la caresse d’une mélanome.[…] «
Page 83 : » Adélaïde adore Noël, mais hélas elle est orpheline. Elle n’a plus de couple, plus de famille, personne avec qui partager la dinde et ensuite ouvrir les cadeaux. Elle marche dans la rue et se dit : Mon coeur est un sac à sapin. Adélaïde adore Noël, elle en a connu des somptueux, grâce à ses ex et leur famille. Sauf avec Elias, il n’avait plus que sa fille et avait toute fête en horreur. Adélaïde aurait aimé se rattraper cette année, un banquet surchargé et devant la cheminée des chaussettes débordantes. Pour la première fois de sa vie, elle n’a nulle part où se greffer. Ses amies le vivent comme une corvée, mais sont toutes au chaud en famille. C’est le 23 décembre, Adélaïde est seule et elle marche dans Paris pour faire semblant de vivre. »
Page 177 : « C’est le coeur d’Adélaïde, le héros de cette histoire. C’est lui qui cogne et saigne, exige et se déploie. C’est lui qui fait le deuil, englouti par le vide. C’est lui qui seul s’entête à battre toujours plus fort. Parfois il s’imagine qu’il n’est plus fait de chair, mais de matériaux composites, de fibres synthétiques, l’aorte ignifugée.
L’automne dévore les crépuscule, Adélaïde enfin accepte son célibat. Elle se dit que c’est une phase et qu’elle doit l’accueillir, qu’à trop vouloir lutter son ego et son coeur finiront abîmés. Adélaïde est raisonnable, elle s’incline, elle n’a pas le choix. C’est écrit dans les chiffres, bien plus de femmes que d’hommes, elle ne peut se soustraire à la réalité. »
« Le coeur synthétique », Chloé Delaume, Seuil, 18€.