Manifestement, personne n’a oublié Christian Marin. Ni les téléspectateurs qui ont été fans des Chevaliers du ciel, ni les amoureux de l’espace, des pilotes et de tout ce qui vole en général, ni les lecteurs de bandes dessinées : ce sont eux, les premiers, a avoir découvert ce grand nunuche sympa, blond, dragueur et gaffeur, mais suffisamment doué pour être (ce qui n’est quand même pas donné au premier venu) aux commandes de zincs ultra-sophistiqués. Petit retour donc sur Ernest Laverdure qui vola, aussi dans les pages de la Nouvelle République. D’abord, oncle Erwann l’a rapporté, dans celles de l’Illustré du Dimanche dans l’année 1967 mais aussi près de quinze ans plus tard dans celles du quotidien, par le biais d’une parution journalière sous forme de double strip.
Pourquoi insister sur cette BD, publiée entre l’été 1981 et le printemps 1982 ? Tout simplement parce qu’elle contient un élément assez original, plutôt rare dans l’histoire du neuvième art : le passage en plein album d’un dessinateur à un autre. C’est ce relais inattendu au cœur d’une aventure de Tanguy et Laverdure qu’il n’était pas inintéressant de conter.
L’histoire
Au départ donc, il y a Jean-Michel Charlier. Fil conducteur des meilleures BD des années 60, scénariste exceptionnel, au talent multiforme. Ensuite, il y a Albert Uderzo, son complice en dessin quand il s’agit de créer pour Pilote, le duo d’aviateurs Michel Tanguy-Ernest Laverdure. Ciel dégagé, bleu horizon, loopings sans problème pendant près de sept ans et huit albums chez Dargaud. Ensuite le grand Albert, mangé par un petit Gaulois glouton jette l’éponge et le crayon.
C’est un autre monstre sacré qui prend la suite. Joseph Gillain, dit le Vieux, qui signe Jijé, l’auteur entre autres de Jerry Spring ou de Jean Valhardi, décolle à son tour dans les Chevaliers du ciel. Petit à petit, il donne aux deux héros dessinés les visages des héros télévisés, Jacques Santi le brun Tanguy, et Christian Marin, le blond Laverdure.
Le feuilleton télé passionne la France et la fusion est parfaite entre les véritables acteurs et leurs représentations de papier. S’en suivent dix titres depuis Les Anges noirs jusqu’à Un DC8 a disparu paru fin 1973 (toujours chez Dargaud).
Suit un grand trou d’air. Aspiré par son cow-boy au visage d’ange, Jerry Spring, Jijé pose sa plume pendant quelques années du côté du Texas ou du Nouveau Mexique. Et Jean-Michel Charlier donne beaucoup de son temps à la télévision. Les Chevaliers du ciel sont en (grandes) vacances.
Il faudra attendre 1979 pour que Joseph Gillain (qui reprend également avec son fils Laurent la série Barbe-Rouge au décès de Victor Hubinon en janvier 1979) retrouve, toujours sur des scénarios de Jean-Michel Charlier, le chemin des aventures aériennes. Ce sera La mystérieuse Escadre Delta, d’abord pré-publiée dans un magazine assez éphémère, SuperAs, au printemps 1979, puis édité cette fois par Fleurus : Tanguy et Laverdure reprennent enfin le manche.
Jijé se lance dans la réalisation d’une suite qui va s’appeler Opération Tonnerre sous l’égide d’une nouvelle maison d’édition : Novedi-Hachette. Mais de battre le cœur de Joseph Gillain s’arrête le 20 juin 1980 à Versailles alors que le Tonnerre lui continue de gronder au-dessus du Tibesti où Jean-Michel Charlier a fait voyager son duo de pilotes.
Sos album en péril ! Mais non. Jean-Michel Charlier, qui a travaillé quelques années plus tôt avec un jeune dessinateur qui assistait Jijé lors de la réalisation de Un DC8 a disparu, trouve là l’homme adéquat.
Il faut dire qu’à 34 ans (à cette époque) Patrice Serres a (entre autres) quelques références aéronautiques puisqu’il a dessiné deux albums racontant les aventures d’un pilote, justement, Yves Sainclair (sur un scénario de Claude Moliterni) en 1975 et 1976 (Sous le signe du Dragon, Le Ciel du Yangzi).
Patrice Serres qui a commencé sa carrière aux Etats-Unis comme assistant du très miltoncaniffien Frank Robbins (l’un des piliers de DC Comics et de Marvel) plonge son héros aventurier dans un univers assez proche de celui de Johnny Hazard (l’aviateur mythique crée par Robbins qui s’écrit avec deux « z » outre-Atlantique).
La question
Et alors que l’Opération Tonnerre n’en est qu’à son premier tiers, du jour au lendemain, Patrice Serres doit assurer la continuité. C’est à la planche 21 de l’album que se produit la liaison. Malgré des différences graphiques, les lecteurs, apparemment n’y verront que du feu : ceux des albums (Serres en fera encore deux pour Tanguy et Laverdure), comme ceux de la Nouvelle République.
Il fallait bien y venir. La Nouvelle République a donc publié du 22 août 1981 au 21 mars 1982 deux histoires complètes des Chevaliers du Ciel : d’abord La mystérieuse escadre Delta, puis dans la foulée Opération Tonnerre. Les deux tomes sont en effet complémentaires racontant avec des patronymes à peine modifiés la captivité d’une ethnologue française, Françoise Claustre (appellée ici Muriel Aspern) détenue par les rebelles Toubous d’Hissène Habré (Hassan Koubré) dans les contreforts du Tibesti.
Près de huit mois d’aventures avec Tanguy et Laverdure, les lecteurs de la NRCO ont été gâtés même si l’ancrage d’une part et les dialogues retranscrits en patte de mouche ont dû décourager plus d’un fidèle un peu myope.
Au cours de l’opération de relais, le copyright indiquant les noms des auteurs a donc été discrètement modifié et celui de Patrice Serres est venu s’ajouter sous ceux de Charlier et Jijé. C’est dans les éditions des 25 et 26 janvier 1982 que la jonction entre les deux albums se fait allégrement dans les pages de la NR.
Avec tout de même un petit couac : les sites sérieux (Dupuis, jeanmichel-charlier.com, Bdgest, les encyclopédies, le BDM, etc) situent tous la planche de relais entre Jijé et Serres dans l’Opération Tonnerre.
Or, dans la Nouvelle République, il suffit de regarder les vignettes, elle se trouve bel et bien dans le premier tome, c’est-à-dire dans La mystérieuse escadre Delta, planches publiées les 18 et 19 janvier 1982, la reproduction ci-dessous faisant foi.
Explication peut-être : Patrice Serres a refait tous les lettrages des vingt premières planches de l’Opération Tonnerre et a terminé l’album. Est-il possible, pour la diffusion dans la presse par la SEPP, qu’il ait aussi travaillé de la même manière les trois dernières planches de la Mystérieuse Escadre ??? Mystère ! Un spécialiste de cette période pourra-t-il aider Case Départ et lever un coin du voile ? Mais encore une fois, c’est dans les colonnes de la NR, que la BD s’amuse à jouer des tours à l’histoire.
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Parmi les bases fréquentées par le duo imaginaire, celle de Dijon tient une place essentielle. Les deux épisodes publiés par la NR démarrent d’ailleurs en Bourgogne et ce sont des Mirage III de la BA102 qui servent d’emblèmes à la parution quotidienne.
Cette base de Dijon-Longvic est devenue école de chasse (EC 03.0002-Alsace) en avril 1966. Trois mois plus tard, Christian Marin, Jacques Santi et l’équipe du feulleton télé viennent y tourner, les deux acteurs jouant dans ces fameux Mirage III (tout sur l’histoire passionnante – pour les spécialistes – de Dijon sur le site www.ba102.fr). Laquelle BA102 reste décidément marquée par Tanguy et Laverdure puisqu’au mois d’octobre de cette année 2012, un nouveau long métrage y sera tourné pour une sortie sur les écrans en 2014. Titre de cette aventure : « Le mal n’a pas d’ombre ». Bigre !
Et les acteurs : Thierry Neuvic sera le capitaine Michel Tanguy et Laurent Gerra, le capitaine Ernest Laverdure. Comme pour le feuilleton télé, l’armée de l’air est associée, naturellement, à cette aventure où le terrorisme tient son rôle, en permettant l’utilisation, cette fois, des Rafale. Nos chevaliers du ciel, en cinquante-cinq ans de bons et loyaux services seront passés du T33 au Rafale. Voilà qui vaut bien quelques lignes dans Case… départ.
*Christian Marin a été inhumé le 11 septembre à Ermenonville après des obsèques célébrées à l’église Saint-Roch à Paris. Deux chasseurs à réaction sont passés au-dessus du cimetière à cet instant. L’armée de l’air n’oubliera pas Laverdure…
J’ai pour ma part l’impression (je n’affirme rien, mais livre simplement mon sentiment) que les sites sérieux ne se sont pas forcément trompés. En revanche, les maquettistes de la NR auraient bien pu, quant à eux, se mélanger à plusieurs reprises les pinceaux en utilisant à plusieurs reprises un bandeau inadéquat pour la planche publiée quotidiennement. Ceci pourrait expliquer cela…
En effet, entre le lundi 25 janvier et le mardi 26 janvier de l’année 1982, l’histoire en cours se poursuit et change bizarrement de titre en passant de la veille au lendemain, sans que la fin d’un épisode ne soit mentionné, ni le début d’un nouveau récit faisant suite à celui qui se serait achevé. N’y a-t-il pas là une anomalie ?
Il me semble que plusieurs planches d’ « Opération Tonnerre » pourraient bien avoir été intitulées par erreur dans la Nouvelle République comme faisant partie de « La Mystérieuse Escadre Delta ».
S’agissant de la fameuse planche 21, elle porte à tort le titre de « La Mystérieuse Escadre Delta ». L’examen du premier strip de cette planche révèle la contradiction, puisqu’une mention renvoie expressément le lecteur de l’histoire en cours à l’album « La Mystérieuse Escadre Delta ». L’histoire en cours de publication ne pouvait donc pas être « La Mystérieuse Escadre Delta » (cqfd).
Indépendamment de cela, Patrice Serres a cependant pu prêter son concours à Jijé bien avant son intervention officielle dans la série (dans « Opération Tonnerre ») et sans que son nom ne soit crédité dans les bandeaux et dans les albums. Un examen minutieux du graphisme de certaines cases (où l’on croit déceler le style de Patrice Serres, très influencé par la manière de Frank Robbins, son premier mentor en BD) a d’ailleurs laissé perplexe de nombreux amateurs éclairés de la série Tanguy.
Amicalement
Luzignan
Un « site sérieux » tout au moins, dont je suis le créateur, jmcharlier.com (et non jeanmichelcharlier.com comme l’indique Erwann), n’a pas fait d’erreur sur l’affaire racontée plus haut, et je crois pouvoir dire que tout y est expliqué, y compris la refonte des lettrages par Serres de la partie « Jijé » de l’album Opération Tonnerre.
Et Luzignan a raison dans ses suppositions : c’est la Nouvelle République qui, à l’époque du replacement de la BD, s’est mélangée les pinceaux dans les titres…
L’oncle Erwann a résolu l’enigme. Ses explications sont ici: http://www.nrblog.fr/casedepart/2012/09/29/quand-la-nr-se-melange-les-pinceaux-avec-tanguy-et-laverdure/
Bjr
Je suis tombé par hasard sur votre superbe article.
Je suis le scénariste et producteur de TANGUY & LAVERDURE-LE MAL N’A PAS D’OMBRE. Où avez vous eu ces infos? Le tournage a pris du retard…désolé..
Amitié
LG
A ce jour, pas le moindre contrat ou option n’ont été signés avec les détenteurs des droits de « Tanguy et Laverdure ». En conséquence, ce tournage, à ce jour reste complètement utopique et le réalisateur ne peut se prévaloir d’aucun droit sur l’adaptation ou l’utilisation des personnages de la série.
Phil
1977 j’aurais du travaillé comme apprenti dessinateur BD si j’avais été au R.D.V de Guy Vidal chez Dargaud. Le but était de trouver des Jeunes dessinateurs dans le magazine Pilote pour reprendre des séries BD du journal. Uderzo après la mort de Goscinny avait des problèmes avec Dargaud. Il voulait fonder sa propre Edition autour d’Astérix ( Albert et René). En 1981 certaine personne de Dargaud on voulait écarter Guy Vidal DRH artistique. 1980 Jijé meurt, Normalement entre 1978 et 1979 j’aurais du reprendre une série ( Peut-être Tanguy et Laverdure ou Valerian). En Effet Jean Giraud ou Mézières devait aussi reprendre la série des Chevaliers du ciel. Mais ils n’étaient pas intéressés… Voilà ce que je sais avec mon grain de sel.
Excuse pour les erreurs orthographes : « ont voulait » « devaient » je ne suis pas doué pour le texte, de toute façon ma carrière de dessinateur BD pro c’est arrêté a cette époque et n’a jamais décollée… Merci A+…