Besoin d’un peu d’air frais en ces temps caniculaires. Besoin de prendre un peu d’altitude et de s’approcher des blancheurs éternelles. Embarquement immédiat dans la caravane des souvenirs de Case Départ.
Avec un boyau de nostalgie et un dérailleur monté en dents (…elle), direction le tour du Tour (de France, of course), et l’ incroyable, impressionnante et increvable (sic) passion populaire qui l’ accompagne. Deux ans après le tour du Centenaire qui passait par la Touraine, le départ de l’édition 2015 des Pays-Bas suscite à nouveau un extraordinaire branle-bas de combat. Tant médiatique, sportif que répétons-le, populaire.
Devenu patrimoine national et carte postale publicitaire format étrange lucarne, la Grande boucle n’a pas toujours connu (évidemment, vu l’âge canonique de l’épreuve !) la gloire du petit écran. La télé naissante n’avait pas encore de véritable rôle à jouer (même si Georges de Caunes se souvient d’avoir commenté – depuis les studios parisiens – le Tour de 1950 diffusé alors en différé le lendemain de l’étape à 12 h 30) et que le premier direct date de 1952.
Reste que le début de l’engouement des téléspectateurs se situe véritablement au moment de la grande bagarre Anquetil-Poulidor dans une France coupée en deux entre la star normande et l’éternel n°2 auvergnat (ah, la bataille homérique du Puy-de-Dôme dans les années 60).
Entre temps, c’est vers la presse quotidienne (notamment sportive) que se tournaient les fans de commentaires, des interviewes à chaud, des analyses de ceux (anciens coureurs pour l’essentiel) que l’on ne nommait pas encore des « consultants » et surtout les amateurs de classements complets que ne pouvait pas donner (évidemment avec des dizaines de noms) l’autre très grand média du Tour, la radio.
Elle qu’écoutaient, l’oreille rivée au poste, des milliers de fans qui suivaient minute par minute, les directs enflammés de Paris-Inter avec Georges Briquet ou de Radio-Luxembourg avec André Bourillon.
Comme ses confrères régionaux, la Nouvelle République a aussi connu ces heures de gloire d’avant la télé. Les photos transmises par belinographe (chercher dans le PLI au mot « belin ») n’étaient pas forcément de grande qualité et à l’imitation de ce qui se faisait avant-guerre (celle de 1939-1945) dans des journaux entrés aujourd’hui dans l’histoire de la presse, la NRCO va donc utiliser le dessin, le graphisme, la caricature, pour rendre compte à ses lecteurs de la réalité d’une étape.
En gros, de 1948 (premier Tour d’après-guerre – la même que plus haut – remporté par l’Italien Bartali) au moins jusqu’en 1959, (année de la première victoire espagnole avec Frederico Bahamontès dit « L’aigle de Tolède ») l’illustration vélocipédique va égayer les pages quotidiennes de la rubrique sportive de la NR. Pendant toute la durée d’une épreuve estivale, s’entend, qui démarrait parfois en juin ou qui mordait parfois sur la fin juillet !
Qui dit dessin, qui dit souvenir, qui dit archives NR, dit Case Départ. D’autant que le grand quotidien régional peut s’enorgueillir, il n’y a pas d’autre mot, d’avoir sur s’attirer (durant cette année 1959) les bonnes grâces du maître du genre, mêlant humour, poésie et amour du vélo, un certain René Pellarin, plus connu sous le nom de Pellos.
Celui-là même que ses admirateurs surnommeront « le roi René », lorsqu’à Angoulême, vieux monsieur digne et admirable, il deviendra un familier du Salon international de la BD. Il y a donc eu Pellos dans les pages Tour mais aussi les signatures de quatre autres dessinateurs : deux « pigistes » extérieurs (Siro et Luc Vincent) et deux produits « maison » (Jaquemin et Hervéou).
Le principe est simplissime. Efficace. Et toujours passionnant même des années (lumière) plus tard. Les dessinateurs de la NR traduisent, sous forme d’un compte-rendu vertical illustré, le cheminement de l’étape quotidienne. Une bande dessinée de la largeur d’une colonne et couvrant presque la hauteur de la page grand format (le mot bande n’a jamais aussi bien mérité son nom…) qui se termine presque toujours par le visage du vainqueur du jour.
Que ce soit Jaquemin ou Hervéou, on retrouve dans le traitement de ces véritables mini-vignettes les quelques grands événements de la journée : les échappées, les crevaisons, les bordures, les cols, bien entendu, les coups de buis et à chaque fois, en bas de colonne, un portrait dans le style réaliste.
Petit coup de zoom rapide sur le studio dessin de la Nouvelle République dirigé par ce grand monsieur qu’était Emile Jaquemin (1903-1965), artiste de talent, touche-à-tout doué aussi bien dans le style animalier que dans le récit dessiné historique ou que dans l’envolée sportive. « S’il avait la science du dessin, dans la tâche, dira sa notice nécrologique parue à son décès, son humour avait la poésie de la bohème courtoise ».
L’anecdote veut que l’on rappelle (évidemment pour les connaisseurs de la petite histoire tourangelle) que c’est Jaquemin qui a peint (il y a fort longtemps) ces superbes fresques décorant l’intérieur d’une célèbre maison close de la ville, l’Étoile bleue : le lieu, réhabilité et devenu (beaucoup plus tard) le siège de la Jeune chambre économique, se visite aujourd’hui et la jeune dame aux lévriers de Jaquemin (en fait, une certaine Mme Josette, la tenancière de l’endroit) fait partie désormais du patrimoine artistique local.
Bref, avec Jean-Yves Hervéou (entré à la NR en 1944, qui finira dans les années 1990 comme chef de ce même studio dessin), et sera, lui aussi associé aux bandes dessinées verticales publiées à l’époque dans le quotidien régional (d’où la pleine justification de cette rubrique), les deux artistes vont s’en donner à cœur joie.
Dans ces années fastes, les quelques jours qui précédaient le départ de la Grande Boucle, des annonces en page Une détaillaient les noms des « reporters » qui allaient couvrir l’événement pour le journal (on y trouve ainsi deux ex-gloires du cyclisme : l’une locale, le Tourangeau Roger Levêque, l’autre dont le nom sonne de manière plus connue, le Bordelais Guy Lapébie) et elles ne manquaient jamais d’y associer celui de Jaquemin (comme le 3 juillet 1953, le jour du départ du Tour… du cinquantenaire). Et plus tard celui de Pellos, bien entendu.
Les deux pigistes caricaturistes avaient une tâche différente : Siro, comme Luc Vincent dessinaient eux de véritables scènes (des pieds de page sur quatre colonnes ou plus) où s’entrechoquaient les portraits en gros plan des stars du peloton ou de l’organisation du Tour (dont Jacques Goddet, le patron, évidemment) et des pseudo-dialogues bien piquants et bien tournés, voire une légende toujours humoristique. Leur collaboration était plutôt hebdomadaire puisque le premier nommé animait une « Semaine de Siro » consacrée à tous les sports même s’il intervenait régulièrement dès la veille de la première étape pour mettre en évidence les favoris et leurs rivaux.
L’indispensable « Dico Solo » (aux éditions Aedus), la bible pour ceux qui veulent tout savoir sur « les dessinateurs de presse » (car ni Siro, ni Luc Vincent ne sont légitimement classés dans la catégorie BD alors que Pellos, lui, y figure, of course) fournira la bio de ces deux artistes qui animèrent pendant des années les colonnes de la NRCO.
Pierre Rollot (1914-2000) a associé une partie de son patronyme avec celui de sa compagne Simone pour créer sa signature : Si + Ro = Siro. Longtemps doyen des dessinateurs de l’incontournable salon de Saint-Just-le-Martel (en Haute-Vienne, qui est, pour ceux qui l’ignoreraient le… Angoulême des dessinateurs de presse), il est présent dans les années 1950-1960 dans une vingtaine de journaux tant sportifs (L’Equipe, France Football) que nationaux ou régionaux (dont par conséquent La Nouvelle République).
Luc Vincent (1905-1998) qui signe aussi LVT, a une trajectoire assez semblable même si sa carrière commence avant-guerre (journaux de sports) avant de se conclure dans le monde de la presse spécialisée des courses hippiques. Son trait pointu l’entraîne aussi beaucoup sur le terrain de la caricature artistique et politique : d’ailleurs, dans la NRCO, il tiendra lui aussi (en dehors de quelques participations liées au Tour de France, bien sûr) un rendez-vous hebdomadaire sur l’actualité de cette IVe République finissante.
Son relais en matière de caricatures politiques sera pris par un dessinateur maison, Maurice Tournade (décédé en 2014), dont la « Semaine » en bandes verticales sera une référence pendant près de quarante ans.
En 2013, pour la centième édition du Tour et comme l’avait annoncé dès la fin du mois de juin, Case Départ, c’est autour de Pellos que l’effort principal des maisons d’éditions s’était porté. Car le roi René est le symbole de ce mariage étonnant entre le dessin (et la BD) et l’épreuve-reine du cyclisme mondial. Même si bien entendu, d’autres dessinateurs se sont attaqués, après lui, au même sujet (comme Lax entre autres exemples).
René Pellarin, dit Pellos (1900-1998) : On ne va pas ici retracer l’immense carrière de Pellos. Juste rappeller que c’est dans Match-L’Intran qu’il démarre sa vie de dessinateur sportif avant-guerre.
Que c’est en se gavant de ses dessins drôles et précis que Jean-Marie Leblanc (qui fut le digne successeur de Jacques Goddet et Félix Lévitan à la direction du Tour de France) deviendra un fan de cyclisme. Et que l’œuvre majeure (mais mal connue, voire inconnue) de ce grand seigneur du trait est son « Futuropolis », monument de SF inspirée du film de Fritz Lang en 1938 : pourtant, pour tous, le nom de Pellos sera éternellement associé à un trio de maladrins sympathiques dont il prendra les destinées graphiques en main en 1948 : « les Pieds Nickelés ».
D’ailleurs la maison d’édition Vent d’Ouest avait remis le couvert pour le tour du centenaire en rééditant « Le Tour de France des Pieds Nickelés » puisque le trio infernal est, pour l’éternité, la marque de fabrique du successeur de Louis Forton. Détail : parallèlement aux albums souples publiés par la SPE de 1948 à 1982, les histoires de Filochard, Ribouldingue et Croquignol l’ont été dans la presse quotidienne régionale. Ainsi dans Le Populaire du Centre à Limoges, où plus de 4.200 strips ont égayé les pages pendant plus de quatorze ans.
Jean-Michel Linfort, en 2005 et en 2008, avait sorti sur le sujet, deux ouvrages de référence (« Les meilleurs Tour de France de René Pellos » chez Vent d’Ouest, et « Le grand livre des illustrateurs du Tour de France » chez l’éditeur régional Cheminements). Dans lesquels, on trouve une ou deux images tirées du passage du maître dans les colonnes de La Nouvelle République.
Toute une époque ! Emile Jaquemin le pionnier, et puis le cher Maurice Tournade qui nous faisait tant rire à la rédaction, Pellos que j’ai connu aussi… et ce Tour de France dont l’ambiance était si différente de celle d’aujourd’hui ! Merci de cette petite escapade en Nostalgie. On allait à la NR chaque jour avec la gourmandise de gamins lâchés en récréation. Jolis souvenirs de mes années à la « Nounou ». JLG