28 octobre 1914. Ah ! les pauvres bougres !



28 octobre 1914. Ménil-aux-Bois

Ah ! les pauvres bougres !

Ils sont arrivés une cinquantaine dans le village, cette nuit, couverts de boue et de poussière de plâtre, les yeux hagards, les mains tremblantes, les lèvres blanches. Ils venaient de Sampigny, en débandade, ayant monté la côte en courant. Et il fut difficile pendant quelques minutes de savoir quels étaient ces soldats barbus, affolés, sans arme, sans sac, sans parole.

Ce sont des territoriaux arrivés hier soir à Sampigny pour renforcer les contingents. Ils menaient à Cosne une vie mi-civile, mi-militaire, balayant les rues le matin, apprenant mollement à creuser des tranchées, l’après-midi. « Des tranchées ? Peuh ! à quoi ça sert ? C’est pour embêter le monde puisque nous ne sommes pas pour aller au feu… » Ils menaient à Cosne une vie douillette, agrémentée de la visite hebdomadaire de leurs femmes, de leurs femmes chargées de vin, de pain tendre et de tabac… Et puis samedi dernier on en a mis 250 dans un train, destination inconnue. Le lundi matin ils se sont retrouvés débarqués à Sorcy. Sorcy ? « Qu’est-ce que ça peut ben être que ce patelin-là ?… » Et hier soir, Mardi, ils venaient à Sampigny prendre leurs cantonnements. Comme ils étaient las d’un si long voyage, on leur ouvrit une belle grange, bien garnie de foin. Ils s’y tassèrent et s’endormirent.

A 10h, un sifflement ! Piuuuu !… Oh ! Cela ne les a pas réveillés. Ils ne savaient pas encore !… Et c’est en plein sommeil qu’ils reçurent cet effroyable baptême du feu. Le premier obus tomba dans le tas des dormeurs et le sang qui gicla fut abondant puisque parmi les survivants qui sont accourus à Ménil il n’y en a pas un qui n’ait sa capote, sa musette, son pantalon maculés du sang des camarades. L’un d’eux avait sur son képi de la matière cérébrale…

Ah ! les pauvres bougres !… Il y a de quoi devenir fou. Quitter un Cosne si paisible pour un pareil Sampigny !

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Une réponse à 28 octobre 1914. Ah ! les pauvres bougres !

  1. Patrice PONSARD dit :

    surprenante et funeste décision du commandement d’expédier brutalement au feu des territoriaux quadragénaires ou quinquagénaires sans entrainement sérieux et sans expérience du combat, dont les conditions physiques étaient vraisemblablement insatisfaisantes…
    On peut se demander quelle aurait été leur réelle efficacité ultérieure, si la plupart d’entre n’avait pas été tués rapidement…

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