5 novembre 1914.
En gare du Bourget (Seine) -8h matin-
En effet, pour Noisy-le sec… Mais de là on nous bifurque aussitôt sur le Bourget. Tout le long du chemin les fenêtres des petites maisons de la banlieue parisienne sont garnies de mains, de mouchoirs qui s’agitent. Les femmes nous envoient gentiment des baisers. De vieux patriotes à barbe blanche nous font d’amples gestes qui veulent dire : « Allez-y mes enfants !…» A Noisy-le-Sec la foule distribue aux troupiers des cigarettes, des journaux, des fruits.
Ah ! ça fait du bien de voir enfin des visages souriants, des sourires encourageants, des maisons pavoisées aux couleurs franco-anglo-russo-belges !… Dans les Vosges, dans la Meuse, on ne nous avait pas habitués à cela.
Nous assaillons une sorte de cantine, installée sous une tente dans la boue noire et où l’on vend du « fromage de porc » et du picolo1.
D’autres trains sont chargés de militaires : je vois de l’infanterie alpine, de l’infanterie : des chasseurs et surtout beaucoup d’artilleurs.
Au bout d’une demi-heure le commandant revient de chez l’officier chargé des étapes. Il nous annonce que nous sommes dirigés sur Vierzy, station de chemin de fer au-delà de Villers-Cotterets sur la ligne de Crépy-en-Valois à Soissons.
Nous nous ébahissons, à travers les vitres du wagon, de ces champs de bataille où il n’y a ni villages brûlés, ni trous d’obus, ni bois dévastés, ni tranchées… La forêt de Villers-Cotterets, dont on a tant parlé au moment de la bataille de la Marne, est magnifiquement indemne. Notre train traverse ses belles futaies de hêtres qui ne nous rappellent rien de ce que nous avons vu dans les Vosges et dans la Meuse. Crépy-en-Valois n’a pas souffert, Vierzy non plus.
Courmelles (Aisne) 17h
où nous arrivons après une marche très pénible dans les terres grasses du Soissonnais.
Comme j’aime ces nouveaux paysages, ces nouveaux villages ! Comme ils sont français ! La Lorraine ce n’est pas exactement la France de nos pères : ici on nage dans les faits glorieux de la vieille histoire de France. On est dans le pays de Clovis, dans le berceau de nos rois. Les villages portent de nobles ruines. Au clair de la lune j’aperçois à Berzy-le-Sec une vieille tour crénelée.
A Courmelles, où nous arrivons en pleine nuit et dans le brouillard, les Allemands n’ont rien brûlé. A peine ont-ils pillé quelques denrées.
Je trouve maître Plaisant (notre porte-drapeau) assis devant un verre de vin chez le bistrot de l’endroit. Il m’invite à partager son litre. Et tout en dégustant une espèce de vinaigre nous nous résumons l’emploi de nos trente-six dernières heures : 38 kilomètres de marche dans la boue et sous une pluie fine ; 16 heures de chemin de fer ; et 12 nouveaux kilomètres dans la boue.
Je suis logé chez les paysans qui m’ont donné leur chambre la plus belle : elle est propre, carrelée, ornée de courges aux formes bizarres et fleurie de bégonias en papier.
Et l’ennemi ?
De l’ennemi nous n’avons vu qu’un avion poursuivi par quatre des nôtres, probablement de l’escadrille chargée de la défense de Paris.
Nous n’avons encore entendu aucun coup de canon.
Dormons en paix.
on peut se demander quel est l’intérêt et où est la pertinence de déplacer constamment les unités d’un point à un autre du territoire, soit à pied ce qui épuise inutilement les hommes, soit en chemin de fer…
Les » jeunes Turcs » du GQG sont-ils bien conscients des fatigues inutiles qu’ils imposent à la troupe, eux qui sont confortablement installés et loin des shrapnells, dans la proximité du » Grand Chef » à Chantilly ?