12 janvier 1917. de M’rirt à Lias
A 10h, sans avoir entendu un coup de feu, nous voyons apparaître au tournant du Taraft les forces imposantes qui escortent aujourd’hui le convoi. D’abord les petits points bleus des goumiers, puis les petits points rouges des spahis, actifs, allant, venant, escaladant les pitons, fouillant les creux, les trous, les fentes, les ombres… L’infanterie arrive à son tour et s’arrête à la casbah de Titahouine où elle mangera la soupe pendant que les arabas viendront déposer au poste leurs charges de farine, de pommes de terre et de sucre.
Mon remplaçant, le docteur Gaillard, est un long garçon en pain d’épices qui porte, sur son visage les marques de la plus profonde mélancolie. On lui a dit : « M’rirt, c’est un enfer. Et vous y êtes pour des mois et des mois. » Alors il n’est pas gai.*
Le convoi a quitté Aïn Leuh ce matin à 2h, au milieu d’une violente bourrasque de neige. Voilà donc huit heures que les hommes marchent dans le terrain le plus défoncé, sous la neige, en pleine nuit d’Aïn Leuh à Lias, poussant les mulets récalcitrants, relevant les arabas versées, surveillant l’ennemi et n’ayant rien à se mettre sous la dent. On a pris cette mesure afin que les Zaian ne fussent pas informés du départ d’un convoi.
A 1h tout le monde, moins Gaillard, et plus moi, se remet en marche. Il tombe une pluie fine, le brouillard enveloppe les montagnes. Les Zaian restent sous leurs khimas.*
Nous arrivons à Lias à 17h. Les hommes ont marché pendant quinze heures et ont fait 53km. Le Maroc n’est pas un pays pour les pieds-plats. Deux hommes, dans la nuit, sont morts de fatigue et de froid, sous leurs petites tentes que la pluie transperçait et que le vent écrasait.
» deux hommes dans la nuit, sont morts de fatigue et de froid, sous leur petite tente que la pluie transperçait et que le vent écrasait… »
Charmante les conditions de vie du troupier en campagne au Maroc, c’est réellement marche ou crève !
Faire marcher des hommes sans boire ni manger pendant 15 heures et abattre 53 km sur des sentiers impossibles, il fallait quasiment des marathoniens pour s’en sortir, et tous ne résistaient pas à ce régime…