15 janvier 1917. Aïn Leuh
La bourrasque, neige, pluie, grêle, atteint dans ce chaos de montagnes une violence que je puis, sans abuser d’un lieu commun, qualifier d’inouïe. Une violence inouïe… Oui, car où avoir entendu un pareil vacarme ? Il semble que les montagnes les plus lourdes, les plus surchargées de pierres, tremblent de la tête à la base sous l’assaut élémentaire des vents. Nous ne savons plus de quels fardeaux alourdir nos toits de tôles ondulées pour que l’aspiration des tourbillons ne les arrache pas à nos murs. Pour les marabouts comme pour les khima il n’en est plus question, ils sont tous, ce matin, gisant lamentablement dans la boue, les marabouts comme des ballons catastrophés, les khima comme des parapluies retournés et abandonnés sur le trottoir.
Jamais on n’aura idée, en France, des souffrances que le mauvais temps nous fait supporter au Maroc. Les Hautes Vosges, aperçues de l’Atlas, m’apparaissent à présent comme une terre promise ou mieux comme un Paradis perdu. Quelles pauvres petites tourmentes de neige, celles du Hohneck qui me semblèrent pourtant si dramatiques ! Et malgré la tempête qui les jette à terre, malgré la neige qui les aveugle, les hommes vont au bois dans la forêt, vont à l’eau aux sources d’Aïn Leuh, pris dans la boue, bousculés par leurs mulets révoltés, à peine couverts par les vêtements en loques que l’on réserve aux troupes marocaines (toujours le Maroc-Pays-Chaud !…)
Pas gaie la vie dans l’Atlas…
Vêtements en loques pour les troupes marocaines ! toujours la sordide et crasse incurie de l’Intendance, alors que les entrepôts regorgent de tout!
Ces misérables intendants militaires mériteraient de passer au falot , à commencer par leurs méprisables cheffaillons !
Et dire que l’on a revu cela en 1940, c’est à en pleurer !