24 janvier 1917. Aïn Leuh
Il ne pleut plus. Il gèle. Il fait un petit temps bleu.
Nous sortons les uns après les autres de nos chambres où la tempête nous maintenait enfermés depuis six jours. Chacun risque un œil par son hublot. Les plus hardis entr’ouvrent leur porte et mettent le nez dehors et d’abord n’en croient pas leurs yeux et puis se rendent à l’évidence : il fait beau. Pinelli, levé tôt, me crie : « Toubib, du soleil !… » C’est vrai. J’aperçois au loin la Gara de M’rirt, rose sous les doigts de l’aurore, et toutes les montagnes pointues des Zaian qui font à perte de vue une sorte de royaume du Cône, aride comme un théorème de géométrie, champs élyséens où l’on aime à imaginer les ombres de Copernic et d’Henri Poincaré, de Laplace et de Newton, allant deux à deux et devisant de choses triangulaires.
Dans la journée, nous nous dégourdissons les jambes. Accompagné du savant docteur Herber et de l’Alsacien Weisgerber, je fais l’ascension de la « Selle arabe », montagne à deux pointes qui domine le camp à l’ouest. Il a suffi que le soleil parût pour que la nature sourît, et sa façon de sourire c’est de se couvrir de fleurs. Des milliers de crocus mêlent leurs petits tubes mauves aux collerettes roses des pâquerettes, des jonquilles au parfum d’oranger se blottissent, jaunes, sous les buissons gris des jujubiers. Les asphodèles sortent de terre leurs grosses pousses vertes. Et des perdreaux s’élèvent, et des lièvres s’enfuient.*
Un peu de soleil dans l’eau froide, comme aurait la regrettée Françoise S..
comme aurait dit, bien sûr !!