Les engagements des candidats (10/10) : santé, retraite et dépendance
Les dix candidats ne manquent pas de propositions sur la santé, les retraites ou la dépendance… les solutions sont très différentes mais quasiment tous militent pour des soins de proximité et une lutte contre les déserts médicaux.
> Eva Joly. Pour la candidate d’EELV, le départ à la retraite à 60 ans, sans décote, et la possibilité pour les personnes ayant exercé des métiers pénibles de partir avant cet âge doit s’exercer. Elle prévoit un plan d’action contre la souffrance au travail et veut créer un service public national de la santé au travail et assurera la réparation intégrale des accidents du travail et des maladies professionnelles. Les entreprises donneuses
d’ordre et les maisons mères seront tenues responsables des dommages économiques, sociaux et environnementaux de leurs sous-traitants et de leurs filiales, en France comme à l’étranger.
Par ailleurs, elle désire que 1 % du budget de la santé sera dédié à la politique de prévention et un Institut national de recherche en santé environnementale sera créé. Le seuil légal d’exposition aux pollutions électromagnétiques sera réduit et des plans d’actions locaux mis en place pour lutter contre la pollution de l’air. La logique de fixation des prix des médicaments et de mise sur le marché repose moins sur l’intérêt thérapeutique que sur l’intérêt économique des laboratoires. C’est par la sortie de la confusion entre l’expertise technique et les intérêts industriels du médicament, par la transparence, que la France diminuera sa surconsommation de médicaments et fera baisser les prix. Pour assurer l’accès aux soins de premiers recours sur l’ensemble du territoire, des “maisons de la santé et de l’autonomie” seront créées, regroupant médecins et professions de soins, et comportant un service d’éducation pour la santé et la santé environnementale. A l’inverse d’une politique de santé mentale qui assimile psychiatrie et répression, la prévention non stigmatisante sera développée, comme les alternatives à l’hospitalisation et la politique de secteur. La loi du 5 juillet 2011, qui instaure des soins sans consentement à domicile, sera abrogée.
> Marine Le Pen. Le système de retraite par répartition sera pérennisé et retrouver le plein emploi constitue la première exigence. La retraite pleine à 40 annuités sera restaurée et l’âge légal de départ en retraite sera ramené à 60 ans. Le déséquilibre du système de retraites est en outre lié à un déséquilibre démographique provisoire. Dans cette situation exceptionnelle, l’affectation à la branche vieillesse d’une fraction du produit des droits de douane sociaux et environnementaux qui seront mis en place, permettrait de retrouver l’équilibre. L’âge de la retraite sera abaissé pour les mères ayant élevé au moins trois enfants ou ayant élevé un enfant handicapé. Les retraites agricoles seront revalorisées, spécialement pour le conjoint survivant. La retraite agricole minimum sera fixée à 85 % du SMIC.
Le droit au minimum vieillesse (ASPA, d’un montant mensuel de 750 €) pour les étrangers n’ayant pas travaillé ni cotisé en France pendant au moins dix ans sera supprimé. Une cinquième branche du régime général de la Sécurité sociale dédiée à la dépendance sera créée, consistant à permettre la prise en charge collective de la dépendance, sans que le système ne repose sur des mécanismes assurantiels privés. Cette cinquième branche se verra confier la responsabilité de l’ensemble des moyens financiers et humains actuellement mis en oeuvre par les départements (allocation personnalisée d’autonomie) et les établissements de santé.
L’offre publique de maisons de retraite sera maintenue et développée, alors qu’actuellement le secteur privé prend une place de plus en plus importante en pratiquant des prix de plus en plus prohibitifs. Une nouvelle politique du médicament sera mise en oeuvre pour sortir des logiques purement comptables. L’efficacité réelle des médicaments sera examinée avec beaucoup plus de discernement. Certains médicaments déremboursés pourront de nouveau être remboursés par la Sécurité sociale au taux normal. La fraude sociale sera combattue en sécurisant les cartes Vitale par la création de la carte Vitale biométrique et en désactivant les cartes Vitale surnuméraires et frauduleuses.
> Nicolas Sarkozy. Parmi les 32 propositions de Nicolas Sarkozy figure celle de payer les retraites le 1er du mois au lieu du 8, pour que les retraités ne soient plus pénalisés par ce décalage. Il veut aussi engager la réforme de la dépendance à partir de 2013, année où le déficit passera sous la barre des 3 % du PIB et créer 750 maisons de santé pluridisciplinaires supplémentaires pour lutter contre les déserts médicaux.
> Jean-Luc Mélenchon. Remboursement à 100 % des dépenses de santé. La lutte pour la santé au travail sera décrétée cause nationale dès la première année de mandat, et nous engagerons immédiatement, en concertation avec les personnels de la santé et les représentants des salariés, le réinvestissement massif de l’État dans la médecine du travail. Nous mettrons fin en priorité aux fermetures et démantèlements d’hôpitaux, de maternités, de centres de soins et d’IVG. Nous garantirons l’accès effectif et gratuit à la contraception et à l’IVG. Nous abrogerons la loi Bachelot et la loi de 2003 instituant la tarification à l’activité. Nous investirons massivement pour redonner à l’hôpital public les moyens nécessaires à une politique de santé de qualité. Nous rétablirons le remboursement intégral à 100 % des dépenses de santé couvertes par la Sécurité sociale en y incluant les lunettes et les soins dentaires ; les mutuelles seront orientées principalement sur les questions de prévention. Nous supprimerons les forfaits et les franchises.
Le financement de la protection sociale doit être construit à partir des cotisations sur les salaires, avec une modulation et une contribution sur les revenus financiers des entreprises, des banques et des assurances. Nous favoriserons la mise en réseau des hôpitaux entre eux et avec la médecine ambulatoire pour développer la prise en charge technique nécessaire sans l’opposer à la proximité, pour réduire les temps d’attente dangereux et onéreux et contribuer à la coopération des professionnels. La médecine générale sera considérée comme une spécialité, revalorisée dans la formation, dans sa rémunération et sa reconnaissance universitaire. Plutôt qu’une politique fondée sur la sanction financière, la puissance publique développera de nouvelles formes de rémunération intégrant l’élaboration des dossiers, la prévention et l’éducation à la santé. Pour faire face à la pénurie des médecins généralistes et de certaines spécialités, le nombre d’étudiants à l’entrée des études de médecine sera augmenté de manière significative dans la perspective de la suppression du numerus clausus. Nous libérerons la recherche pharmaceutique de la soumission aux marchés et aux laboratoires en mettant en place un pôle public du médicament avec au moins une entreprise publique qui interviendra sur la recherche, la production et la distribution des médicaments.
Nous rétablirons également le droit à la retraite à 60 ans à taux plein (75 % du salaire de référence)pour toutes et tous avec la prise en compte de la pénibilité de professions particulières donnant droit à des départs anticipés. Le financement des retraites sera assuré en particulier par une cotisation nouvelle sur les revenus financiers des entreprises, au même taux que les cotisations employeurs sur les salaires. La perte d’autonomie (que la droite nomme « dépendance ») sera couverte dans le cadre de la protection sociale sans recours aux assureurs privés.
> Philippe Poutou. Nous voulons le remboursement à 100 % de tous les soins par l’Assurance maladie. Nous voulons l’arrêt des restructurations hospitalières, l’abrogation de la loi Bachelot, le maintien des hôpitaux de proximité avec urgences, maternité et chirurgie, un plan de création de 120 000 emplois dans les hôpitaux, l’expropriation des cliniques privées et des trusts pharmaceutiques et leur intégration au service public. Une retraite pleine et entière à 60 ans (55 pour les travaux pénibles) ou après 37,5 annuités.
> Nathalie Arthaud. Tout le monde devrait avoir la possibilité d’accéder gratuitement à l’information, à la prévention et aux soins tout au long de sa vie, ainsi qu’à la possibilité de bénéficier des innovations médicales et d’une prise en charge quand cela est nécessaire. supprimer le forfait hospitalier, qui n’a cessé d’augmenter depuis sa création en 1983. Supprimer les franchises médicales. Revenir sur les déremboursements de médicaments et faire en sorte que toutes les dépenses de santé soient prises en charge à 100 %. Il serait également nécessaire que les indemnités journalières, en cas d’arrêt-maladie, correspondent au salaire, car les dépenses, notamment celles liées au logement, ne sont pas moindres quand on est malade. Et bien sûr, il faudrait également arrêter de fermer des centres de soins, des services et des hôpitaux et, au contraire, dans le cadre du service public, en construire et embaucher afin qu’il y ait du personnel et des lits en nombre suffisant pour accueillir, dans de bonnes conditions et sur tout le territoire, tous ceux qui en ont besoin.
Nous défendons l’idée que le patronat, qui a usé les travailleurs, devrait pourvoir à tous leurs besoins : chaque salarié, dans une société tant soit peu humaine, devrait percevoir son plein salaire jusqu’à la fin de ses jours. Et s’il faut combattre les retraites par capitalisation, il faut aussi remplacer ce système par répartition par un impôt sur le patronat. Le système par répartition est une escroquerie qui fait payer la retraite des vieux travailleurs par les jeunes, en prélevant des cotisations sur leurs salaires. Mais ce sont les patrons qui profitent des travailleurs en les usant et en les épuisant. C’est à eux seuls que devrait incomber l’obligation de pourvoir à leurs vieux jours ! En tout état de cause, il faut imposer de revenir à l’âge légal de 60 ans avec 37,5 annuités de cotisations pour une retraite à taux plein, pour tous les salariés, du public et du privé. Et puisqu’il est difficile de vivre avec moins que le Smic, le minimum-vieillesse qui est 742 euros par mois doit ramené au niveau du Smic. La dépendance doit être entièrement prise en charge par l’État et financée par une hausse adéquate des cotisations patronales.
> Jacques Cheminade. Le candidat veut débloquer 13 milliards d’euros (1 point de la nouvelle CSG à barème progressif) pour revenir au taux originel de remboursement des soins (80 % pour les soins courants), et rembourser les soins auditifs, oculaires et dentaires à la hauteur des autres soins. Il veut annuler le forfait sur actes médicaux lourds ou la contribution sur visites médicales ou achats de médicaments ou mobiliser 1,5 milliard d’euros pour le service des urgences et mieux coordonner la médecine de ville et l’hôpital pour désengorger ce service. Il a le désir de rendre la médecine générale plus attrayante en changeant le système de rémunération en fonction de plusieurs critères (nombre de patients traités dans l’année, gravité de la pathologie, zone d’exercice) et déclare vouloir soutenir la construction de maisons de retraite, en améliorer les services et faire baisser le prix des séjours. Il prévoit également d’augmenter les moyens dévolus aux unités de soins palliatifs pour éviter des tendances pernicieuses à opter pour l’euthanasie.
Sur le plan des retraites, il promet de revaloriser immédiatement les retraites avec instauration d’un plancher minimum équivalant progressivement au SMIC et de rétablir la revalorisation des retraites en fonction des salaires, et si ceux-ci baissent ou sont bloqués, en fonction d’un indice des prix. Quant à l’âge de départ, il ne faut, selon lui, prendre en compte que le critère des 41,5 ans de cotisations. Les travailleurs « précoces » pourront donc partir à la retraite avant l’âge légal maintenu à 62 ans. Il veut rejeter définitivement le système de capitalisation des retraites
> François Bayrou. Le centriste prévoit d’instaurer un régime de retraite par points fondé sur le principe de répartition auquel nous sommes attachés et sur des droits individuels acquis par le salarié. Il veut aussi rééquilibrer les petites retraites (agriculteurs, commerçants, conjoints) à travers un plan de rattrapage inscrit dans la nouvelle loi-cadre qui redéfinira l’architecture de la retraite et mettre en place un « Bouclier santé » destiné à couvrir les personnes qui sortent des minimas sociaux et qui ne sont pas pris en charge par la Couverture Maladie Universelle (CMU) financé par une meilleure gestion de l’argent alloué à l’aide complémentaire santé.
Lui aussi souhaite réorienter profondément la politique de santé publique vers la prévention et rendre confiance aux médecins hospitaliers et de ville en reconnaissant la primauté de l’acte médical sur les contraintes administratives. Il veut modifier la loi Hôpital, Patients, Santé et Territoire (HPST) pour passer d’une logique purement gestionnaire et administrative à une construction en réseau sur le territoire qui donne la priorité aux patients et aux médecins.
Il entend proposer une nouvelle définition du « numerus clausus » médical avec des places supplémentaires assorties d’un engagement de service de 10 ans dans une région déficitaire et instaurer des services médicaux de proximité (Urgences, maternité, soins ambulatoires), en amont des plateaux techniques des hôpitaux, pour lutter contre les « déserts médicaux » et garantir les soins à tous les malades et à tous les territoires. Il veut initier un « plan santé » pour prévenir les conduites addictives des jeunes (sensibilisation, information et prévention) et mobiliser les étudiants en médecine pour lutter contre les addictions dans les établissements scolaires ; Encourager une politique de prévention-santé dès l’école primaire (soins dentaires, lunettes, obésité…). Son projet prévoir de créer une Autorité indépendante chargée de l’alerte, notamment en matière de santé et de sécurité sanitaire, et constituée d’experts totalement indépendants, dont la mission sera de déclencher l’alerte à temps avec des éléments tangibles. Cette autorité pourra être saisie par les citoyens, les associations, les praticiens, les pharmaciens…
Il veut lancer un plan « Face à la dépendance » qui devra capitaliser sur l’expérience acquise et qui fera jouer tous les leviers disponibles, recherche médicale et pharmacologique, amélioration de la prise en charge dans les maisons de retraite et les hôpitaux, construction d’une offre plus abordable pour les familles, appui aux aidants et mise en oeuvre de la solidarité nationale.
> Nicolas Dupont-Aignan. L’envolée du prix des mutuelles prouve que notre système de santé se fracture en deux : d’un côté un service public standard, médiocre et minimal, de l’autre un secteur privé accessible uniquement aux plus riches. Parce que je refuse la santé à deux vitesses, je souhaite défendre notre système public, unitaire et solidaire, en le rationalisant quand il le faut (maisons de santé en zone rurale, refonte des barèmes, déremboursement des médicaments inutiles, dossier médical) et en assurant un vrai service public (lutte contre les déserts médicaux, réforme de la filière dentaire).
Chaque médecin devra en outre exercer 2 ans de sa carrière professionnelle dans une zone où l’on manque de professionnels de santé, et en particulier les territoires ruraux. Il s’agira d’un contrat d’intérêt général obligatoire entre l’etat et chaque nouveau médecin dont la formation est payée par la collectivité et l’activité financée par la sécurité sociale.
> François Hollande. Je réformerai la tarification pour mettre fin à l’assimilation de l’hôpital avec les établissements privés. Je le considérerai comme un service public et non comme une entreprise. Pour lutter contre les déserts médicaux, je favoriserai une meilleure répartition des médecins par la création de pôles de santé de proximité dans chaque territoire. Je fixerai un délai maximum d’une demi-heure pour accéder aux soins d’urgence.
J’améliorerai la prise en compte de la santé publique, notamment en augmentant la part de rémunération forfaitaire des médecins généralistes. Je sécuriserai l’accès aux soins de tous les Français en encadrant les dépassements d’honoraires, en favorisant une baisse du prix des médicaments et en supprimant le droit d’entrée dans le dispositif de l’aide médicale d’État.
Je ferai en sorte que tous ceux qui ont 60 ans et qui auront cotisé la totalité de leurs annuités retrouvent le droit de partir à la retraite à taux plein à cet âge-là : ce principe sera mis en oeuvre immédiatement. Une négociation globale s’engagera dès l’été 2012 avec les partenaires sociaux afin de définir, dans un cadre financier durablement équilibré, l’âge légal de départ à la retraite, la prise en compte de la pénibilité, le montant des pensions et l’évolution des recettes indispensables à la pérennité de notre système de retraite solidaire. J’engagerai aussi une réforme de la dépendance permettant de mieux accompagner la perte d’autonomie.
Médecin sans campagne
L’administration fiscale et un infarctus ont eu raison de l’enthousiasme et de la foi en son métier de Robert Escande.
Aux interminables journées de travail sur le plateau ardéchois a succédé une invalidité qui pèse à ce toubib meurtri.
par Michel BITZER
IL brandit fièrement le document extirpé d’une pile
de dossiers : le jugement qui condamne définitivement
l’Etat à lui verser 1 500 euros de dommages
et intérêts au terme de cinq années de procédure.
Mais le mal est fait. Robert Escande ne se confesse
pas entre deux consultations, le stéthoscope autour
du cou. Son invalidité permanente vient de lui être
signifiée. La faute à ces neuf stents qui ont été posés
après un infarctus en 2009. « Je ne demandais pas la
Légion d’honneur comme le gestionnaire de la fortune
de Mme Bettencourt, simplement qu’on me laisse
exercer ce métier qui me passionnait ! », s’enflamme
l’homme meurtri. C’était compter sans les tracasseries
d’une administration fiscale qui a ruiné le rêve du
médecin provençal venu s’installer comme généraliste
sur le haut plateau ardéchois, après avoir travaillé
durant quatre ans aux urgences
à Marseille.
Au retour d’un service militaire à
Berlin, où il rencontra sa future
épouse allemande de l’Est, Robert
Escande met donc le cap sur Saint-
Etienne-de-Lugdarès, un village de
quatre cent et quelques âmes, chef-lieu d’un canton
qui en compte à peine plus d’un millier. « Le seul
canton de France où il n’y avait jamais eu un
médecin », précise celui qui réside aujourd’hui dans
un autre désert rural, la Meuse. Sur cette terre
ardéchoise balayée par la burle, un vent glacial qui
rougit les visages, il va « faire de la médecine un peu
à l’ancienne, en essayant d’aider les gens qui souffrent
à s’en sortir ». Et ils ne manquent pas dans cette
contrée distante d’une cinquantaine de kilomètres
du premier hôpital – Mende, Aubenas ou Le Puy-en-
Velay – et où le facteur et le docteur sont les derniers
à tenter de raccommoder le lien social qui s’effiloche.
« J’ai vite découvert des gens très attachants, qui
me rendaient au centuple tous les efforts auxquels je
consentais », se souvient le toubib. La cadence n’est
pas encore aux trente-cinq heures. « Je me levais à
5 h. Je consultais sur rendez-vous à mon cabinet de
7 h à 12 h. Puis j’attrapais un sandwich et je filais
pour une tournée de visites à domicile jusqu’à 15 h.
Au retour, consultations, libres cette fois, avec une
salle d’attente qui ne désemplissait pas. Et à partir de
18 h, une nouvelle tournée de visites à domicile, dont
je rentrais parfois après minuit. » Pendant près de
vingt ans. Et pas question de tomber malade. « J’ai
fait des visites avec la grippe et 40° de fièvre. Mais les
patients n’étaient pas des tire-au-flanc non plus. Pour
mettre en arrêt des agriculteurs ou des petits artisans,
il fallait que je les attache ! »
Ces péripéties, il les raconte dans Médecin, quand
reviendras-tu ?, un livre de souvenirs où les noms
des lieux et des personnages ont été modifiés « pour
respecter le secret médical ». Pour se prémunir aussi
d’éventuelles réactions de ceux à qui il décoche
quelques flèches au fil des pages. « Mais tout est
vrai », certifie Robert Escande.
Les expéditions sur des routes
enneigées au coeur de la nuit
pour porter secours à un gamin
victime d’une infection pulmonaire,
à une femme qui s’est
défenestrée, à un garde forestier
ayant chuté d’une falaise… Des plâtres aux
citadins venus skier sur les pentes des stations
voisines. Des points de suture au mollet du touriste
mordu par un chien de ferme. Mais aussi des soins
d’urgence à un maçon dont les deux jambes ont été
écrasées par une pelle mécanique. Le constat
d’usage devant le corps d’un chasseur dont la moitié
du crâne a été arrachée involontairement par le tir
d’un de ses amis qui se pendra peu de temps après. A
raison de 10 000 actes médicaux par an, il n’y a guère
que l’embarras du choix.
Comme si cela ne suffisait pas, sa spécialisation de
médecin urgentiste vaut à Robert Escande d’être
bombardé médecin capitaine – et plus tard commandant
– du corps des sapeurs-pompiers locaux. Sa
présence permet l’ouverture d’un foyer de vie pour
handicapés, avec quelques dizaines d’emplois à la
clé. On vient du canton voisin, où le vieux médecin
parti à la retraite n’a pas été remplacé. « On me payait
parfois en gentillesse et en sourires, avec un poulet ou
des oeufs. Quand nous faisions nos courses à la
supérette, le boucher ou la caissière me parlait de leur
rhume. » Et puis il y a les médicaments qu’il est
habilité à délivrer à ses patients. Une aubaine ? « Je
payais les fournisseurs au cul du camion et la CPAM
ou les mutuelles me remboursaient avec parfois six
mois de retard. Les marges ne couvraient pas les frais
de fonctionnement et les agios bancaires. C’était
juste pour rendre service aux gens. »
Cette double casquette est à l’origine des malheurs
de celui dont le métier était « aussi bien d’assister
aux accouchements que de fermer les yeux des
morts ». En 2007, l’administration fiscale se fait fort
de lui imposer le régime de son activité dominante –
la pharmacie, qui génère plus de chiffre d’affaires
même si les bénéfices y sont quasi inexistants –, lui
faire payer la taxe professionnelle d’une officine… et
même lui appliquer une vieille jurisprudence faisant
de lui un vétérinaire, « alors que je n’ai jamais soigné
un animal ». Du tribunal administratif jusqu’au Conseil
d’Etat, l’affaire s’éternisera durant cinq longues
années, avant le jugement définitif que l’on sait. Elle
sera également à l’origine de cet « infarctus de stress »
qui a fait de lui un toubib invalide à qui plus aucun
malade ne dira « Bonjour, Docteur ».
Sur le plateau ardéchois, il n’y a plus de médecin.
Le premier à le regretter est peut-être le pandore qui
verbalisa un jour Robert Escande car il avait garé sa
voiture devant le monument aux morts pour voler au
secours d’une fillette en détresse respiratoire. « La
mairie a construit à grands frais une maison médicale
où un généraliste tient une permanence, une
demi-journée par semaine. » Des lettres chaleureuses
d‘anciens patients arrivent à son domicile meusien
de Neuville-sur-Ornain. Et un colis de cèpes séchés
de temps à autre, témoignage d’amitié à celui qui
partagea « leur vie souvent dure sur ces terres déshéritées,
où pourtant l’humain triomphe ».
Médecin, quand reviendras-tu ?
de Robert Escande (Editions Baudelaire).
10 000 actes
médicaux
par an
dans un canton
où le premier
hôpital
était distant
de 50 km.
Photo M. B.
« Pour mettre en arrêt
des agriculteurs ou des
petits artisans, il fallait
que je les attache ! »