Roblès 2013
Plus qu’un ! Je viens d’achever le cinquième des six premiers romans sélectionnés pour le prix Roblès 2013. J’ai donc suivi Clélia Anfray dans son histoire intitulée « Le coursier de Valenciennes », paru chez Gallimard.
Agrégée de Lettres modernes, enseignante et chercheuse au CNRS, Clélia Anfray s’est inspirée d’une histoire vraie pour son premier roman.
Celle de Pierre Créange, mort dans les mêmes conditions que l’un des personnages du roman, Pierre Weill. C’est un codétenu de Pierre Créange qui a fait parvenir aux vivants et à la postérité les écrits de ce dernier.
L’histoire ? C’est celle de Simon Abramovitch. Nous sommes six ans après la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Simon, vendeur de chaussures basé en Auvergne, décide de s’acquitter enfin d’une promesse. Elle concerne l’un de ses compagnons d’infortune, Pierre Weill, dont il partagea le quotidien dans un camp de travail, pendant la guerre, Klein Mangersdorf.
Simon a une enveloppe à remettre à la famille de Pierre. Il la retrouve à Valenciennes, ville qui se reconstruit. Sa femme est morte. Restent sa belle-soeur, Suzanne, qui sans mari ni enfant a pris sous son aile Pierre, Renée et Henri, qui n’étaient que des enfants à la disparition de leurs parents.
En frappant chez les Weill, devenus la famille Viéville, Simon rencontre Suzanne. Puis Renée et Henri. Lui, tout dégoulinant de l’eau de pluie qui tombe sur la ville, se réchauffe dans l’intérieur coquet et douillet de la famille de Pierre, le poète.
Là, dans la maison cossue, les membres de la famille ont décidé d’oublier. De faire sans. En changeant de nom, en n’affichant plus sa foi pour le judaïsme, en tournant la page, en se reconstruisant dans une ville qui en fait tout autant.
Quand l’enveloppe est ouverte, l’histoire bascule. Simon vient de réduire à néant l’équilibre retrouvé. En effet, outre la lettre adressée à sa femme et un poème, il y a un morceau de papier sur lequel figure un nom et un lieu. Celui du passeur qui, pendant la guerre a « vendu » Pierre et sa femme, les menant de manière certaine vers la mort.
Renée et Henri ont toujours été certains qu’il s’agissait de lui. Cette confirmation, qui arrive enfin, les oblige à penser à ce qu’ils vont en faire. Henri veut le rencontrer… Simon va aller jusque le tuer d’un coup de chaussure. Pour quel résultat ?
Extraits
Pages 10-11 : « La guerre avait brisé net ses vocations de peintre. Mais il s’en était remis, un peu comme tout le monde. L’essentiel n’était-il pas de casser sa croûte et de trouver chaussure à son pied ? Renoncer n’était jamais au fond qu’une affaire d’habitude. Comme tout le reste. C’était peut-être pour ça qu’il n’avait jamais compris Pierre. Simon, lui, n’avait sans doute pas l’âme d’un poète, mais il était quand même sensible aux choses. La pitance et le mariage, c’était faute de mieux. Dans une autre vie, il aurait été peintre. Il n’y avait pas à tortiller. Hochant la tête à cette pensée, il se remit à observer les reflets versatiles des pavés qu’il recomposait comme un puzzle mobile.
Soudain, en voulant esquiver une rigole, il loupa son enjambée et fit gicler l’eau, comme une source. C’était bien sa veine. Depuis l’ourlet, qu’il avait lui-même recousu, jusqu’aux genoux, son pantalon était trempé. Après toutes ces années, il avait fini par prendre des habitudes de vieux garçon. »
Page 48 : « Simon fit le récit qu’il avait déjà fait quelques heures plus tôt. Renée le scrutait de ses yeux fixes et profonds qu’il tâchait d’éviter. Avide de tout connaître, elle semblait revivre les derniers instants du père. Elle l’écoutait comme elle aurait lu un roman, espérant lui trouver une issue heureuse, s’ingéniant à oublier, le temps du récit, que cette fin-là, irréfutable et certaine, elle la connaissait déjà. Ses deux genoux faisaient par instants des mouvements nerveux qui contrastaient avec le fixité grave de son visage. Lorsqu’elle apprit avec quelle férocité les lunettes de son père avaient été brisées, ses lèvres tressaillirent involontairement. Mais ses deux yeux inamovibles le ne quittaient pas. Elle attendait. Elle espérait une suite qui ne venait pas. Ce départ pour Auschwitz avait quelque chose d’inachevé auquel elle ne parvenait pas à se résoudre. Pourquoi son père était-il mort quand cet homme, là, devant elle, cet inconnu, ce simple marchand de chaussures, en avait réchappé ? »
Page 138 : « Un monde les séparait. Il en avait la certitude désormais : rien ne le distinguerait plus de ses bourreaux. Longtemps, il avait isolé l’acte de ses conditions. Tuer, dans son idée, était d’une autre nature que tuer son bourreau. Si l’un était le mal absolu, l’autre était glorieux et ennoblissait même le criminel. Depuis sa libération, il avait construit sa vie autour de cette certitude-là. »
Mon avis
Un bon début et une mauvaise fin. Ce court roman laisse un goût d’inachevé. Dommage. On a du mal à y croire, à comprendre la réaction de Simon face à cet homme, ancien douanier et passeur. On ne croit pas non plus au mode opératoire utiliser pour l’éliminer. Bref, le sujet est original et aurait pu faire vivre un roman passionnant. Là, l’histoire fait pschitt ! « Le coursier de Valenciennes » ne laisse pas un souvenir impérissable, loin s’en faut.
« Le coursier de Valenciennes », de Clélia Anfray, Gallimard, 14,90€.
Un coup de coeur pour moi. Mais, c’est vrai la fin est difficile.